vendredi 27 septembre 2013

La SIgillée gallo-romaine du Haut-Empire


Préambule.

On ne saurait présenter un panorama de la céramique antique sans parler de la sigillée gauloise. Bien que je ne sois pas spécialiste du domaine, ce type de céramique reste un des incontournables de l’antiquité gallo-romaine, et je me dois ainsi de le traiter.
Le sujet est vaste, on s’en doute. Pour rappel, je préciserai ici encore que, par ce terme, je définis une catégorie bien précise de céramique antique : celle qui, qu’elle soit moulée ou tournée, décorée ou non, porte ce vernis argileux typique qui devient rouge et se vitrifie en cuisson oxydante. L’apparition et la diffusion de ce genre de vaisselle a déjà été  décrit dans l’article « La Sigillée, de ses origines italiques à son apparition dans les Gaules « 

Estampille sur une sigillée
C’est le »sigillum », le seau
De l’ateleir ou du potier
Qui donna son nom à cette
Variété de céramique antique
(O.PASN= officina passieni)
Et enfin, pour préciser chronologiquement mon propos, je place le Haut-Empire entre le début du principat d’Auguste, en 27 avant notre ère, et l’avènement de Dioclétien et la fondation de la première tétrarchie en 286 de notre ère. En ce qui concerne le début du Bas-Empire, toutes les écoles d’historiens ne pensent pas forcément ainsi, mais personnellement je trouve cette date pratique, car elle correspond au début d’une grosse série de modifications administratives au sein de l’appareil d’état romain, de son armée, mais aussi à une mutation profonde des structures sociales. On observe également une évolution rapide des styles décoratifs en cette fin de troisième siècle. La céramique n’y échappera pas, et c’est pourquoi il conviendra mieux de traiter séparément des céramiques du bas-Empire.
L’étude de la sigillée pour ses aspects très décoratifs et surtout très standardisés sera déterminante pour l’évolution conceptuelle de la céramologie. Si à l’origine, au XIXème siècle, on s’intéressa surtout à cette vaisselle dans le cadre de l’histoire de l’art, dès la fin du siècle on saisira rapidement les intérêts de ces artefacts pour l’établissement de séquences chronologiques relatives à l’occupation des sites archéologiques. Les premières typologies apparaissent, dont certaines, celles de H. Dragendorff en 1895 ( ci-dessous), ou celles de Joseph Déchelette en 1905 sont des références toujours en usage aujourd’hui. 

(
Les fouilles des camps militaires rhénans de Haltern, de Niederbieber, de Xanthen ou de Hofheim par exemple, parfois occupés seulement sur de très courtes périodes, vont initier une chronologie de plus en plus précise basée sur le répertoire des formes mais aussi et surtout sur les signatures de potiers apposées sous forme de « sigillum » sur cette vaisselle.
L’étude de la sigillée restera toutefois longtemps circonscrite à l’établissement des typo-chronologies, et ce n’est que depuis 1960 environ que l’on saisira l’immense potentiel scientifique de ce matériel. On ouvre alors des recherches sur les aspects techniques de leur fabrication, L’étude des matériaux constitutifs permettra de déterminer l’origine géographique et les ateliers producteurs et donc les courants commerciaux qui permirent la diffusion de leurs productions. Par comparaison ensuite, les connaissances de la sigillée permettront de dater d’autres productions régionales et d’autres types de céramiques, mais aussi d’autres types de mobilier archéologique. Ce n’est toutefois qu’avec l’approche contextuelle de l’archéologie que l’on sortira la céramique et notamment la sigillée du piège des typo-chronologies pour mettre l’accent sur les liens unissant des témoins matériels aux cultures au sein desquelles ils ont été réalisés, mais aussi desquelles ils ont été consommés.
Les débuts de la production :  
Diverses approches ont d’abord été tentées par les potiers gaulois, mais les difficultés techniques qu’ils rencontrèrent ne permirent pas à ce stade une production d’envergure ni surtout une large commercialisation. Les vernis de ces pré-sigillées manquaient d’éclat et ces productions ne parvinrent pas vraiment à concurrencer les sigillées des ateliers italiques. La cuisson dans des fours à flamme directe ne permettait pas ce fameux grésage des engobes et tout au plus cette céramique permettait-elle de combler un manque local ou régional de vaisselle de service répondant aux nouveaux goûts esthétiques et culinaires méditerranéens.  L’apparition assez brutale de la production de « vraies » sigillées pose la question de l’intervention directe se spécialistes venus d’Italie. Ce n’est que lorsque ces derniers ouvrirent des succursales, exportèrent leur savoir-faire, que la sigillée gauloise, cuite dans des fours à tubulures, atteignit sa morphologie aboutie. En fait elle reprenait le répertoire des formes produites par les ateliers italiques, à tel point que sans analyses physico-chimiques, il est souvent presque impossible de les différencier des modèles produits à Arrezzo et Pise entre autres. 
Carte des ateliers de sigillée en Gaule. La production est proportionnelle à la taille des marquages. la Grufesenque, Lezoux, L'Argonne et Rheinzabern sont les centres les plus importants
Peu après le tournant de l’ère, une importante production apparut à Millau, sur le site de La Graufesenque, qui après quelques essais hésitants, devint rapidement le plus important centre de production de sigillée gauloise. L’exceptionnelle qualité de cette céramique déboucha sur un énorme succès commercial, un évènement sans précédent dans l’artisanat antique de la céramique. Bien que seulement 3% du site aient aujourd’hui été fouillés, on sait qu’au moins 500 potiers ou ateliers de potiers connus par leurs estampilles ont exercé en ce lieu entre le Ier et le début du IIème siècle de notre ère. 
Carte de diffusion des productions de La Graufesenque
Dés les années 30 à 50 de notre ère, les productions de La Graufesenque ont été distribuées dans toute la partie occidentale de l’Empire, voire parfois beaucoup plus loin. Au Sud, c’est au moins jusqu’au Soudan que ces céramiques ont été retrouvées. A l’Est, en plus de fréquentes découvertes en Inde, on en a découvert dans un site archéologique du Delta du Mekong !
Non seulement les quantités de céramiques produites dans ces ateliers sont énormes, et peuvent se compter en milliards de pièces (à la Graufesenque seulement, on évalue la production totale entre 1 et 3 milliards. Vous avez bien lu, entre 1'000'000'000 et 3'000'000'000…), mais avec les fouilles on commence à en comprendre la structure, notamment par ces étonnants bordereaux d’enfournement, dont plusieurs complets et au moins 50 fragmentaires ont été jusqu’ici découverts :
Souvent bilingues comme celui-ci, notre méconnaissance de la langue gauloise rend leur interprétation difficile.

autagis cintux XXI
tuθos decametos luxtos
uerecunda canastri S = D
eti pedalis CX
eti canastri ==D
Albanos panias (I)XXV
Albinos uinari D
Summacos catili (I)(I)CDLX
Felix scota catili V CC
Tritos priuatos paraxi V DL
Deprosagi paraxidi (I)(I)DC
Masuetos acitabli IX D

Les deux premières lignes sont en gaulois et signifieraient : premier bordereau de 21 / dixième four chargé.
Les lignes suivantes, en latin, donnent des noms des potiers, à consonance gauloise : Albanos, Albinos, Deprosagijos, Felix, Masuetos, Priuatos, Scota, Summacos, Tritos, Uerecundos.
La deuxième colonne cite les noms des vases : acitabili (petits bols à sauce vinaigrée), canistri (corbeille ?), catili (assiette, plat), panna (coupe), paraxidi (jatte), uinari (cruche ou pichet ?). Les dimensions de certains sont précisées par les signes S= ou ==.
Enfin, les quantités indiquées permettent de savoir que la fournée comptait à peu près 28 000 pièces. Et ceci n’est peut-être que le premier bordereau. Mais soyons rassurés, la taille des plus grands fours ne permettait d’y placer que l’équivalent de deux bordereaux comme celui-ci…
Une assiette ( catilus) signée de l'atelier de Quadratus de La Graufesenque. Un travail parfait.

Détail d'une coupe "Dragendorff 29b" exposée au Musée de la Cour d'Or à Metz. Un fleuron de l'époque de spendeur de la sigillée moulée.
Photo © Wikimedia Creative Commons, licence GNU FDL
 L’expansion :
 Ce succès entraîna des vocations, et dès les années 20 à 50 des ateliers secondaires vont commencer à essaimer autour de La Graufesenque. Si certains restent peu connus, d’autres se développeront avec les années, comme Montans, ou plus tard Banassac.
Tesson de Montans, au coloris un peu plus foncé
A peu près en même temps, de nouveaux ateliers ou groupes d’ateliers vont se créer ou s’adapter en Gaule du centre, à Lezoux dès 10 ap. J.-C., puis en Gaule de l’Est, dans la Vallée de l’Argonne ou encore en Alsace et en Moselle entre 50 et 70. De nombreux ateliers régionaux tentèrent également leur chance dans ce qui était devenu un immense marché. Certains connurent le succès, d’autres moins et leur activité fut éphémère. On parle parfois d’ »imitations de sigillée » pour ces productions, parfois aussi de « sigillées régionales »et il faut bien avouer que, les frontières entre ce qui peut être défini comme une « vraie » sigillée et ses « imitations » étant difficile à situer, les palabres entre spécialistes de la question sont parfois assez vives.
Une assiette des ateliers d'Avocourt I au revêtement orangé satiné caractéristique. cette forme "Dragendorff 18/31 est très fréquente dès le IIème siècle.
Photo © Wikimedia Creative Commons, licence GNU FDL

Le même type, issu de l'officine de Sinzig, en Gaule de l'Est. Déterminer les origines de telles pièces est très difficile et même les spécialistes s'y perdent... L'anneau guilloché n'est pas caractéristique. Plus qu'une fonction décorative, ce guilochage était destiné à masquer les traces de collages ou de pression exercée par l'empilement des pièces à la cuisson.
Photo © Wikimedia Creative Commons, licence GNU FDL
A la fin du Ier siècle, ce seront ainsi plusieurs dizaines d’ateliers qui produiront de la sigillée, généralement diffusée seulement dans les régions avoisinantes. Et ce sera en même temps le début du déclin des plus anciens, comme La Graufesenque par exemple. Effets de concurrence certainement, leur monopole ne tenant plsu face à la nouvelle concurrence. Mais peut-être manque de combustibles aussi. Faute de gestion du domaine forestier, certains ateliers ont épuisé d’immenses surfaces arborisées, jusqu’à s’épuiser eux-mêmes, à force de devoir s’approvisionner de plus en plus loin de leurs fours…

Techniques de décoration.    



Une petite coupe Drag.27 lisse de Lezoux (fin Ier siècle)
 Contrairement à ce que beaucoup de publications, d’expositions ou de pages internet peuvent nous laisser imaginer, la grande majorité des céramiques sigillées ne porte pas de décor particulier. Elle est tournée, puis le profil affiné par tournassage, et enfin simplement polie et engobée. C’est ce que nous appelons dans notre jargon de céramologues, la « sigillée lisse ». Exception notable à cette qualification, les guillochages, qui peuvent dans certains cas agrémenter la surface externe de certains vases, mais aussi, spécialement en ce qui concerne les anneaux guillochés à l’intérieur des assiettes, empêcher les collages ou les marques disgracieuses lors de la cuisson.
Une autre assiette Dragendorff 36 de Sinzig. C'est une pièce tournée, simplement décorée à la barbotine sur son marli. Il n'était pas d'usage de guillocher un anneau dasn ce type d'assiette, et on remarque bien la marque laissée par celle qui lui était superposée.
Photo © Wikimedia Creative Commons, licence GNU FDL
En ce qui concerne les sigillées décorées, la technique reine est sans contestation possible le moulage. Dans une première étape, il faut fabriquer la matrice, une sorte de bol hémisphérique dans laquelle les motifs qui devront apparaître en relief sur les moulages sont imprimés en creux à l’aide de poinçons. C’était un travail de spécialistes, et sur d’assez nombreuses pièces d’époque, on voit apparaître la signature du mouliste en plus de celle de l’atelier qui produira les épreuves.
Un moule pour bols Dragendorff 37, probablement de Rheinzabern.
On observe par ailleurs d’autres techniques de décoration en relief, par exemples les motifs en applique. Dans ce cas de figure, le relief est pressé séparément dans un moule, puis collé à la barbotine sur le corps du vase encore humide. Cette technique est souvent associée à un décor secondaire réalisé à la barbotine, à main levée au moyen d’une douille ou d’une pipette. Cette technique du décor à la barbotine est parfois aussi utilisée seule.
Une pièce exceptionnelle type "Déchelette 72" portant un décor mixte par appliques moulées avec des rehauts de barbotine. Lezoux, IIIème siècle
 On voit aussi d’autres types de décors, par exemple les motifs excisés. Dans ce cas on procède par enlèvement de matière au moyen d’un outil coupant, gouge ou couteau. 
A nouveau un type Déchelette 72 à décor floral excisé du Musée de la Céramique à Lezoux.
 Une constante évolution.

L’histoire de la sigillée du Haut-empire porte sur plus de 250 ans. L’effet de compression temporelle nous laisse parfois imaginer une production plutôt figée dans ses formes et ses décors. Il n’en est rien, ce type de céramique connaissant une constante évolution tant dans ses formes que ses styles décoratifs. On observe toutefois que, spécialement sur les pièces moulées, la qualité du moulage aussi bien que la recherche d’une cohérence stylistique du décor vont devenir de plus en plus aléatoires. Produites de plus en plus hâtivement peut-être par effet pervers d’une concurrence acharnée, victimes de surmoulages successifs, certaines pièces moulées du IIIème siècle ne seront plus que l’ombre d’une splendeur révolue. Mais parallèlement, d’autres formes, d’autres styles décoratifs nécessitant des techniques nouvelles verront le jour…
Un Dragendorf 30 de Lezoux. Production intermédiaire au décor simpifié, mais encore relativement net.
Photo © Wikimedia Creative Commons, licence GNU FDL

Une pièce Dragendorff 30 relativement tardive. Son décor empâté, victime de surmoulages successifs, est caractéristique de la production de masse dès la seconde moitié du IIème siècle.
Photo © Wikimedia Creative Commons, licence GNU FDL
 A cette époque, bon nombre de ces tentatives régionales auront tourné court, au profit de nouveaux monopoles régionaux. Les ateliers africains inonderont le pourtour de la Méditerranée, tandis qu’en Gaule du Centre les officines de Lezoux s’imposeront. En Gaule du Nord, ce seront les ateliers de la Vallée de l’Argonne qui domineront, tandis que les productions de Rheinzabern et de Trèves se réserveront les marchés du Rhin et du Haut-Danube.
Caractéristique des productions des IIème et IIIème siècles, ce Dragendorff 38 provient de Rheinzabern.

Mais le IIIème siècle, c’est aussi, notamment à partie des années 235 sur le Rhin, puis 255-260 dans les autres régions une période de grande instabilité politique et militaire. Ce seront 50 ans de crise aigüe qui vont bouleverser tous les circuits commerciaux et migrations aidant initier de nouvelles formes d’organisation sociale. D’importantes évolutions marqueront les productions aussi bien que les processus de diffusion de la céramique.  On entre dans l’Antiquité tardive, et traiter de la production de la sigillée de cette période nécessitera un autre billet, tant les changements sont importants

Un calice de Rheinzabern. Ce genre de pièce est plutôt rare,
mais montre que malgré une production parfois hâtive,
les potiers gallo-romaine n’avaient rien perdu de leur
créativité au IIIème siècle.
 Pour y voir plus clair, une étude progressive région par région serait nécessaire, et ce n’est pas l’objet de cet article. Un ou plusieurs livres seraient nécessaires. On pourra toutefois se référer à l’excellent :
LA CERAMIQUE ROMAINE EN GAULE DU NORD. Dictionnaire des céramiques: Raymond Brulet, Fabienne Vilvorder et Richard Delage . Brepols Publishers, Turnhout, Belgique, 2010. ISBN 978-2-503-53509-8.

Cet ouvrage, bien que traitant essentiellement de la Gaule du Nord, présente un excellent panorama des céramiques fines, pour la plupart commercialisées bien au-delà de cette région. C’est un ouvrage de référence pour quiconque s’intéresse à la céramique gallo-romaine dans son ensemble.




Gobelets à panse cannelée de Suisse occidentale


LE GOBELET A PANSE CANNELEE,
UN GOBELET GALLO-ROMAND?

Assez fréquemment découvert en fouilles aussi bien en zones rurales qu’urbanisées, le gobelet cannelé de type « Niederbieber 32 » semble être une spécificité de Suisse occidentale, voire de Suisse Romande. Qu’en est-il vraiment ? 

Un exemplaire typique découvert à Yverdon
 (Fouilles Parc Piguet, 2006, non publié)
On ne connaît pas vraiment de précurseur à ce type de récipient. Si la forme ovoïde est connue depuis longtemps, et notamment par les abondantes productions des ateliers lyonnais dès le début du premier siècle de notre ère, sa forme est toujours lisse, portant souvent un décor guilloché ou sablé, mais jamais cannelée. Il existe bien un type de gobelet multiconvexe dans le répertoire de la céramique de Gaule Belgique (dont la Cité des Helvètes fit partie jusque vers 90 de notre ère), mais sa forme générale est trop éloignée et de plus cette production cesse totalement dès le troisième quart du Ier siècle de notre ère. On ne peut donc pas raisonnablement y voir l’origine de nos gobelets cannelés.
Cette forme de récipient semble donc apparaître sans précurseur en Suisse occidentale dans le courant de la seconde moitié du IIème siècle de notre ère, simultanément à l’apparition de toute la gamme de la vaisselle à vernis argileux issue de nos ateliers régionaux. Toutefois, si cette forme est assurément abondante à Lousonna (Lüginbühl 1999, Vidy 2013), et peut-être à Genève (Paunier, 1981), attestée et assez fréquente à Yverdon (fouilles parc Piguet 2006-2009, Steiner, Menna, 2004) et Nyon (Paunier, 1981), sa présence est plus discrète à Avenches (Kaenel 1974, Castella-Meylan 1994, Bosse, 2004) ainsi qu’à Berne.



Les sites de production :

Plusieurs sites de production sont attestés : 

Lousonna : Deux ateliers ont fourni des rebuts de production de ce type : L’atelier « du secteur 23 » situé dans l’avant-dernier ilot sud-ouest du vicus a fourni de nombreux ratés très fragmentés, dont de nombreux gobelets ovoïdes, certains cannelés. A La rue de Chavannes 29, à la périphérie Est du Vicus, deux fours ont été découverts en 1984 et là aussi dans leur mobilier de comblement des gobelets se rapportant certainement à la production de l’atelier ont été identifiés. Les styles cannelés y sont aussi présents. 
Les gobelets des sites de production identifiés dans le vicus de Lousonna: A gauche un exemplaire de l'atelier dit "du secteur 23", et à droite un autre de l'atelier de la Rue de Chavannes 29. (Lüginbühl, 1999)
Trois bords de gobelets issus des fouilles universitaires 2013 à Lousonna. Le premier bandeau, plutôt étroit, correspond bien aux dessins des exemplaires issus des ateliers tout proches, dans l'îlot 23 ou à la Rue de Chavannes 29. (Photo P.-A. Capt)
 La datation de ces gobelets cannelés lausannois peut se fixer par analogie avec les autres formes produites, soit entre la fin du IIème et le début du IIIème siècle de notre ère.

Avenches, Défini comme assez rare (Castella, Meylan-Krause, 1994) à Avenches et dans sa région, une production a toutefois été attestée lors de la fouille en 2003 du dépôt de ratés de cuisson de la propriété Seynave. Les gobelets ovoïdes à panse cannelée n’y sont toutefois représentés que par 2 individus (0,09% de la production), alors que la forme lisse en compte 465 (21,31%) sur un total de 554 gobelets comptés, représentant le quart de la production de céramiques à revêtement argileux de cet ensemble.(Bosse, 2004). 

Les gobelets cannelés d'Avenches: A gauche, le Type 49.1 selon la typologie Castella / Meylan-Krause (BPA 1994). Cette forme est considérée comme « assez rare ». A droite, les deux exemplaires AV 49.1 de la propriété Seynave (Bosse, 2004)
Cet ensemble de la propriété Seynave est toutefois assez peu représentatif en ce qui concerne ces gobelets cannelés. Sa datation est assez tardive, vers 250, et il est possible que la production de cette forme ait été en déclin à ce moment-là.
Par ailleurs, les ateliers ayant produit de la céramique à revêtement argileux à Aventicum entre la fin du IIème et au début du IIIème siècles n’ont pas été découverts à ce jour. Cette classe de céramiques ayant été produite en abondance à dans cette ville, il est assez probable que les données seraient modifiées en cas de nouvelle découverte.

Bern-Engehalbinsel :
Diverses fouilles, notamment vers les années 1900, puis 1930-1949 ont mis à jour plusieurs fours de potiers sur la presqu’île de l’Engehalbinsel, et exhumé de nombreux ratés de cuisson dont bon nombre de pièces qui ont pu être recollées.
Malheureusement, malgré le grand intérêt de cette production, le résultat de ces fouilles n’a jamais été sérieusement étudié, et à ce jour aucune publication n’a été réalisée. Quelques gobelets cannelés y sont présents, du même type que ceux de Lausanne et Avenches. D’autres exemplaires ont été retrouvés en contexte de consommation dans le vicus de Brenodurum qui occupait une bonne partie de la presqu’île.

Un exemplaire à trois bandeaux, apparemment
Découvert en contexte de consommation dans le vicus
(Bernischer Historisches Museum, réserves,
Photo P.-A. Capt)

Un exemplaire à quatre bandeaux, apparemment
Découvert en contexte de consommation dans le vicus
(Bernischer Historisches Museum, réserves,
Photo P.-A. Capt)
 
On remarque avec un certain étonnement la présence simultanée d'exemplaires à trois et à quatre bandeaux. Comme pour les autres productions, L'alternance des bandes lisses et guillochées ne semble pas répondre à une règle déterminée. Si l'alternance de bandes lisses et guilochées est systématique, le bandeau supérieur peut êttre soit lissse, soit guilloché, que le gobelet soit à trois ou quatre bandeaux. Chercher à déterminer une origine par l'observation de cet agencement semple pour le moins hasardeux.
En ce qui concerne la datation de ces céramiques bernoises, on doit donc par analogie avec les autres productions de mêmes types l’estimer vers la fin du IIème et la première moitié du IIIème siècle. Toutefois, il se pourrait que cette production se soit poursuivie jusqu'à la fin de l'activité des ateliers, vers les années 270-280, datation absolue des dernières productions repérées en sites de consommation, sur la villa rustica de Worb notamment.

Thonon :
Plus surprenante est sa production aux ateliers de Thonon. Actuellement en cours d’étude, mais non publiée, cette production, dont 5 tonnes au moins de ratés de cuisson a été récupérée en 1974 et des centaines de pièces remontées, montre un répertoire de style relativement différent des ateliers helvètes. Mais on retrouve à nouveau le gobelet cannelé, parfaitement identiques aux productions lausannoise et bernoise.
Gobelets cannelés issus des fosses de ratés de cuisson de Thonon. la ressemblance avec les exemplaires issus des fouilles en Suisse occidentale est confondante...(photo P.-A. Capt)

Un autre exemplaire, déformé et fissuré à la cuisson
(remontage et photo L. Berman)
Les sites de consommation :

Il est difficile de dresser une liste exhaustive des sites sur lesquels ce type de gobelet cannelé a été identifié. Nombreux sont les ensembles issus de fouilles récentes encore non publiés, et nombreux également sont les fouilles qui n’ont fait l’objet que d’un rapport sommaire.
Panses de gobelets "Lausannois" ? Découverts à Lousonna assurément, de plus à quelques dizaines ou centaines de mètre de deux ateliers de production attestés. Mais l'analogie avec des exemplaires de Thonon est tellement frappante que seule une analyse des argiles permettrait de certifier leur origine.
Ce type de gobelet est bien sûr clairement identifié sur certains sites de consommation liés aux ateliers qui ont produit ce type de récipients. Le cas le plus spectaculaire se trouve à Lausanne, où des fouilles tout récemment conduites dans la partie Ouest du vicus ont permis de retrouver un dépôt de plusieurs dizaines d’exemplaires brisés. Il se trouve qu’il est absolument impossible de recoller les tessons par leur éventuelle proximité dans ce dépôt. Les fragments issus de mêmes individus étant complètement dispersés indiquent clairement que ces gobelets étaient brisés avant leur abandon dans ce qui a pu être une arrière-cour. Il ne s’agit donc assurément pas de ratés de cuisson, mais plutôt de la résultante d’un effondrement d’étagère ou alors des stigmates d’une scène de hooliganisme d’auberge…. Ce ensemble sera pour le moins intéressant à comparer avec les ratés de cuisson issus des ateliers de l’îlot 23 et de la Rue de Chavannes 29, tout proches géographiquement. 

Berne et Avenches ont également livré plusieurs exemplaires dispersés dans les habitations de ces localités. Un de ces exemplaires découvert lors des fouilles du site « en Selley » à Avenches se situant dans une couche datée de la seconde moitié du IIIème siècle nous conforte dans l’idée de la poursuite de cette production jusqu’à une époque assez tardive.
Le cas de la diffusion des productions de Thonon est un peu particulier. Cet ensemble n’ayant à ce jour jamais été publié, les références font totalement défaut. Nos avons pu toutefois localiser de visu quelques productions de formes autres de cet atelier à Martigny, Massongex, Lausanne et Nyon. Que les gobelets cannelés y aient été également diffusés est donc possible.
Quant à Yverdon, l’étude des résultats de la fouille du « Parc Piguet » n’étant pas encore aboutie, il n’est pas possible de préciser la datation du ou des exemplaires découverts, pas plus que leur origine.

Un gobelet gallo-romand ?
Déterminer l’origine de ces gobelets lorsqu’ils sont découverts en site de consommation est un vrai casse-tête tant ils se ressemblent. Seule l’analyse physico-chimique comparative des pâtes et des revêtements autoriserait des certitudes.
Si sa production à Berne n’étonne pas tant les répertoires de formes de cet atelier sont proches des productions avenchoises, sa présence à Thonon surprend plus pour un type régional. Le vicus antique faisait partie de la Cité des Allobroges, province de Narbonnaise. Et il est plutôt rare que la production d’une forme régionale chevauche la frontière de deux provinces romaines, limite pas toujours très perméable au commerce local. De plus, la typologie générale de cette production ne ressemble pas à celle des ateliers helvètes et montre un faciès culturel différent.
Gallo-romain assurément donc, mais pas typiquement romand, ce type de gobelet est plutôt une spécialité régionale « transfrontalière ». Sa commercialisation en Germanie Supérieure à laquelle est rattachée la Cité des Helvètes n’est d'ailleurs pas un cas particulier, puisque d’’autres productions de Thonon ont été diffusées dans le Valais, qui appartenait à la province des Alpes Graies et Pennines. Il pourrait peut-être s'agir d'un petit succès commercial régional, une sorte de nouveau "marché de niche" dans lequel tous les ateliers locaux ont cherché à s'engager...

Bibliographie :

BOSSE Sandrine : Un dépotoir de céramiques du IIème siècle à Aventicum. Bulletin de l’association Pro Aventico, 2004. Avenches 2004.
CASTELLA Daniel, MEYLAN-KRAUSE Marie-France : La céramique gallo-romaine d’Avenches et de sa région, esquisse d’une typologie. Bulletin de l’association Pro Aventico 1994, Avenches, 1994.
LUGINGBUHL Thierry. Les ateliers de potiers gallo-romains en Suisse occidentale : Nyon, Lausanne et Yverdon. In SFECAG 1999, Actes du Congrès de Fribourg, pp. 109-124.
KAENEL Gilbert: Aventicum I, Céramiques gallo-romaines décorées, productions locales des IIe et IIIe siècles. Cahiers d'Archéologie Romande No 1. Avenches et Lausanne 1974.
PAUNIER Daniel: La céramique Gallo-romaine de Genève. Société d'histoire et d'archéologie de Genève, T. 9, Genève, 1981
STEINER L. ET MENNA F. : La Nécropole du Pré-de la Cure à Yverdon. Cahiers d’Archéologie Romande No. 75. Lausanne, 2000.


lundi 16 septembre 2013

Ombres et lumières au Laténium. Le jour d'après.

Déclinant le thème 2013 "feu et lumière" des Journées Européennes du Patrimoine, le Laténium organisait une soirée gratuite qui permettait aux visiteurs de découvrir le parc et l'exposition de nuit. Dès 20h30, des visites guidées du musée à la lueur des lampes à pétrole devrait faire frissonner le public qui pourra se promener dans le parc, éclairé de feux et de photophores illustrant des mythes ancestraux.

 Durant toute la soirée, la longue histoire du feu s'est déclinée à travers les âges et nous avons pu assister à la création de répliques d'objets celtiques à la forge , au rituel de la sibylle qui a brîlé nos pensées dans son antre pour les exaucer , aux techniques du feu sans allumettes puis à un concert du groupe de musique Silexus qui distilla une ambiance propice à la méditation paléolithique, Et surtout, pour la première fois en Suisse, nous avons réalisé en direct une cuisson de céramiques gauloises dans une réplique de four antique spécialement construite pour l'occasion!

Une telle aventure, cela commence toujours par la préparation du lot de céramiques qui seront cuites lors ce cet évènement. Temps de séchage oblige, il vaut mieux s'y prendre trois semaines à l'avance, et ceci d'autant plus  que, pour la plupart tournées dans mon atelier de Cuarny, il a fallu ensuite les transporter sur place. 

 Les voici, dans le dépôt des Services archéologique neuchâtelois, attendant leur grand jour. 

La structure du four, partiellement préfabriquée, ne nécessite que peu de temps de montage. Elle est bien adaptée aux installations temporaires et peut être intégralement récupérée pour être réutilisée lors d'autres manifestations.

Montage du socle et des substructures préfabriquées.

A l'origine, cette structure a été conçue sur un modèle gallo-romain d'Autun découvert lors ds fouilles de 2009 au Faubourg d'Arroux. Ce four de l'atelier supposé du célèbre potier gallo-romain Pistillus est en fait une installation tout à fait "standard" telles que celles utilisées par les potiers non seulement gallo-romains. Simple et performant, ce type de four ne varie pratiquement pas au cours des siècles. On trouve en effet des installations tout à fait similaires en période gauloise, par exemple sur l'oppidum de Gondole dans le Puy-de-Dôme, et ce modèle est encore courant aux temps mérovingiens. 6 à 7 siècles au moins d'utilisation de ce genre d'installation pour cuire des types de céramiques parfois très dissemblables montrent ainsi bien la souplesse d'utilisation de ces fours. Même la sole segmentée, détail qui pourrait étonner les spécialistes en céramologie, trouve d'assez nombreuses occurences entre le IIème et le IVème siècle de notre ère.

Le montage est terminé. Les briques qui constituent le puits ont été assemblées au torchis. Un parement interne et externe a été posé afin d'assurer une bonne étanchéité et éviter les infiltrations d'air lors de la réduction.

 Le samedi 7 septembre, c'est le grand jour. le montage a été terminé le vendredi, une première chauffe a permis de sécher l'installation est tout est prêt pour la cuisson. 

 Pour l'occasion, Suzy et Jens Balkert nous ont rejoint et participent au chargement. Avec les Balkert, c'est en quelque sorte l'aristocratie de la céramique qui nous accompagne. Carrières prestigieuses et productions de grande qualité font de ce couple une paire de grosses pointures de la Céramique suisse. Une visite s'impose chez Suzy qui décline avec une très grande classe les aspects modernes de la sigillée, aussi bien que chez Jens, Maintenant plasticien et sculpteur de renom. Balkert et Balkert, c'est ici: http://www.balkert.com/

 Un tel chargement étonne toujours les céramistes modernes. Les empilement en "touche-touche", c'est à dire sans cales de séparation peuvet parfois donner des résultats assez aléatoires. Les points de contact entre les pièces peuvent laisser des marques assez disgracieuses, souvent rédhibitoires pour les artistes contemporains. C'est pourtant ainsi que se cuisait la grande majorité des céramiques autrefois. Mais il s'agissait de productions essentiellement utilitaires...

Sous le regard de Christine, compagne de toutes ces aventures, et Jens, parfois "père sèvère" de la céramique, mais toujours persévérant dans son évolution et qui n'en finira jamais de nous ravir.

La cuisson débute donc vers 15 heures, afin de pouvoir poursuivre toute la soirée. Mais le ciel qui se voile laisse présager une soirée agitée...

Préchauffage. La phase tranquille de la cuisson. Le temps des palabres...
La cuisson se poursuit, la nuit est tombée. Des ombres apparaissent et disparaissent, c'est la magie des ces cuissons nocturnes. Ombres et lumières, on vous l'avait dit...

Le four, vu de nos tentes éclairées à la lampe à huile...

L'orage était attendu vers 21 heures. Fort heureusement il était quelque peu en retard, ce qui nous a tout juste laissé le temps de mettre l'essentiel de notre matériel à l'abri et de commencer la réduction...
Dernière vérification avant de commencer l'obturation du four. le vent s'est levé et il faudra faire vite...
 Le temps d'obturer la partie supérieure à la cendre, et c'est le déluge! Un de ces beaux orages qui secouent régulièrement le lac de Neuchâtel. Avec un solide coup de tabac comme il se doit! Toiture du four arrachée, pluie diluvienne, coups de tonnerre impressionnants, rien ne nous sera épargné!
Non, ce n'est pas une photo ratée. C'est le colmatage du four au torchis sous une pluie diluvienne, dans un nuage d'embruns et de fumée...
 L'humidité est tout à fait bénéfique à ce type de cuissons, mais on n'en demandait pas tant! Qu'il n'y ait pas eu d'infiltrations d'eau dans la charge de céramiques m'étonnera toujours! 
Le four, ou au moins sa charge ayant pu être conservée au sec, on ne peut pas en dire autant des rares volontaires qui ont participé à cette clôture de cuisson. On ne vos décrira pas la stupeur des visiteurs qui, réfugiés dans le musée nous ont vu y rentrer, complétement détrempés, crépis de torchis et plus ou moins noircis de suie.. Une troupe de Néandertaliens mouillés et plus ou moins hagards débarquant au pas de charge n'aurait assurément pas fait plus d'effet! 

 Le lendemain, les bêtes sont séchées, les toitures remontées et on peut se prépareer au sec à l'ouverture du four. Comme toujours dans ces cuissons réductices, on commence par régager le foyer de ses charbons, et comme toujours dans un nuage de fumée et de poussière...

Au vu de la quantité qui s'y consumait encore, on peut tout de suite présager que la fournée sera réussie.

La couche de torchis et de cendres est enlevée, et les premières pièces apparaissent, bien noicies comme prévu. 

Grises sous l'effet du saupoudrage de cendres, ces pièces sont en fait parfaitement noircies par l'enfumage.

C'est la fin d'une belle aventure et les sourires sont de mise: Circé, étudiante à l'Univcersité de Neuchâtel et Guillaume Reich, doctorant travaillant à une thèse sur l'armement du second âge du fer retrouvé sur le site de La Tène.

 Les céramiques réalisées pour cette fournée sont pour l'essentiel des répliques de productions locales. L'accent a été mis sur les pièces issues de fouilles de sites de la région des Trois Lacs. Le site de la Tène y est bien sûr représenté, mais aussi le "Pont des Sauges" à Cornaux, le site des Bourguignonnes à Marin. Quelques pièces d'Yverdon et Berne complètent le lot. Un joli florilège de céramiques helvètes!