vendredi 11 janvier 2013

Une cuisson à thème: Céramiques gauloises de La Tène C1

Première fournée de l'année, on profite de la météo redevenue plus ou moins clémente. Car peu amène, elle l'a bien été en décembre, avec des pluies abondantes et presque continues, et mon four principal a été inondé au moins cinq fois. Complétement imprégné d'eau, il fallait aussi absolument le sécher avant le retour des gelées qui auraient pu sévèrement l'endommager.
Fin de cuisson le 7 janvier dernier. le four crache la vapeur de tous ses pores...

Moins pressé par les commandes urgentes que durant le printemps ou l'été, je peux me permettre de choisir un thème général, un répertoire de formes à explorer, une nouvelle technique à expérimenter. Une petite présentation s'avère toutefois utile avant d'aller plus loin. La Tène C1, c'est quoi, au juste?
Petite chronologie de la civilisation de La Tène:
les historiens, et surtout les archéologues ont l'habitude de citer des périodes chronologiques pour les civilisations anciennes. La civilisation gauloise, ou celtique, qui a pris à la longue les nom de deux sites archéologiques célèbres. Pour la phase précoce, c'est la période dite de "Hallstatt", lieu en Autriche où a été découvert un abondant matériel relatif à l'exploitation des mines de sel. La phase récente prend le nom de "Civilisation de la Tène", du nom de ce célèbre site archéologique en Suisse occidentale.

La Tène ancienne :
La Tène A : vers 500 / 475 - 400 av. J.-C.
La Tène B1 : vers 400 - 325 av. J.-C.
La Tène B2 : vers 325 - 250 av. J.-C.

La Tène moyenne :
La Tène C1 : vers 250 - 190 av. J.-C.
La Tène C2 : vers 190 - 140 av. J.-C

La Tène finale :
La Tène D1a : vers 140 - 120 av. J.-C.
La Tène D1b : vers 120 - 80 av. J.-C.
La Tène D2a : vers 80 - 60 / 50 av. J.-C.
La Tène D2b : vers 60 / 50 - 30 av. J.-C.

Cette corrélation entre phases chronologiques et datations absolues est actuellement la plus utilisée en Suisse et en France. La période qui nous intéresse pour cette fournée, La Tène C1 (LTC1) se situe donc entre les années 250 et 190 av. J.-C. c'est une période de grandes mutations pour les peuples gaulois, avec le développement des premières agglomérations, villages puis villes, avec la mutation des réseaux commerciaux notamment par une distinction jamais vue entre sites de production et lieux de consommation. C'est le début de la grande expansion de l'artisanat spécialisé. Un temps de profonds transformations de l'organisation sociale et politique aussi, mais que je ne développerai pas ici.
En ce qui concerne la céramique, on assiste ainsi au début de la généralisation de la céramique tournée. Ce mode de faire existait ici et là auparavant, mais était très peu développé, car difficile à organiser dans le cadre de petites unités d'habitats ruraux. Seules de très grandes fermes aristocratiques ont pu détacher des travailleurs pour les occuper à la fabrication de céramiques tournées, dont un part importante est commercialisée, activité qui demande une longue formation, au contraire de la poterie modelée qui peut se pratiquer à temps très partiel, parallèlement aux travaux agricoles, et que l'on peut tout à fait considérer comme une activité domestique.

Les peuples gaulois et leurs céramiques: 
On connaît la répartition ds peuples gaulois d'après deux sources essentielles. La première est la description qu'en a fait César dans ses "Commentaires sur la Guerre des Gaules". Il nomme tous les peuples qu'il a combattu ou avec lesquels ils s'est allié.C'est une source très précieuse, mais que ne cite que rarement les délimitation territoriales. L'autre document essentiel est la carte des diocèses de l'antiquité tardive. Lors de la création des provinces gauloises par Auguste et Agrippa, les romains ont bien pris garde de ne pas créer de délimitations artificielles, et au contraire ont respecté les frontières traditionnelles afin d'éviter conflits et divisions internes. Ces provinces, divisées en "cités" seront plusieurs fois remaniées au cours de l'histoire de l'Empire, mais les cités seront généralement conservées. Là aussi, on ne connaît pas toujours leurs frontières. mais dés le IVème siècle, chaque Cité se verra attribuer un évêché, et la première carte des Diocèses nous restitue assez exactement les limites de ces derniers pour le Vème siècle de notre ère.
Les territoires des Parisii, Meldes et Sénons, avec pour capitales Paris, Meaux et Sens. Tiré des actes de la SFECAG, Congrès de Chelles, 2010. Tiré de la communication de Jean-Marc Séguier: "Vaisselle domestique et limites territoriales des Sénons, Meldes et Parisii de la fin de l'âge du fer à l'époque augustéenne".
Ces limites territoriales ont parfois évolué avec le temps, et surtout on ne les connaît pas avant les Commentaires de César. Chaque peuple gaulois avait sa monnaie, et probablement sa propre  organisation commerciale. De nombreux objets de production indigène ne franchissent pas, ou que très rarement les frontières du territoire ou de la Cité, ce qui aide à définir les frontières par l'étude et la comparaison des mobiliers archéologiques. C'était d'ailleurs le thème transversal du Congrès de la SFECAG (Société Française d'Etude de la Ceramique Antique en Gaule) de 2010: "L'apport de la céramique à la connaissance des dynamiques culturelles et économiques et des limites administratives de la Gaule"
Ces congrès de la SFECAG sont toujours très enrichissants. On y discute de thèmes très pointus, on y compare rapports de fouilles et tessons, on y confronte expériences et méthodes d'analyse, on y explore de nouvelles voies de recherche...
Exemple de cassure fraîche sur un tesson

J'ai donc passablement puisé dans ces Actes pour réaliser les pièces qui suivent. Avoir pu observer quelques tessons ou pièces complètes des régions concernées m'a considérablement aidé. Pour réaliser ces pièces j'ai choisi des mélanges d'argiles pouvant correspondre par le texture et le couleur à celles qui était exploitées par les artisans de cette époque. Cela reste toutefois quelque peu aléatoire, les gisements sont multiples et leur qualité peut considérablement varier d'un endroit à l'autre.
Le mélange choisi est très clair. A la cuisson, il reste blanchâtre à coeur, mais prend très bien l'enfumage en prenant une couleur noire, parfois un peu bleutée en surface. la cuisson a duré environ 9 heures, la température maximale a atteint environ 850 degrés, évaluée comme toujours à la couleur du feu. La post-cuisson est réductrice, avec un enfumage aux écorces humides d'une durée de 36 heures environ. Cette dernière opération se fait à l'aveugle, le four devant impérativement être scellé hermétiquement afin d'empêcher toute intrusion d'air atmosphérique. Réaliser une telle cuisson dans un four très humide n'est pas un gros problème, mais cela prolonge le temps de chauffage. évaporer l'eau imbibée dans les structures est très énergivore et la consommation de bois est sérieusement augmentée.Quelques jours auparavant, j'avais déjà chauffé le four à vide pendant 6 heures pour le sécher. Au total la consommation de bois aura presque été doublée...

Les résultats:
Il ne s'agit pas là d'une étude stylistique mettant en exergue les particularités culturelles des peuples cités dans le texte. Bien que ce thème sera abordé, il faudrait un échantillonage beaucoup plus grand pour mettre en évidence ds styles particuliers.
les premières pièces présentées font partie de la vaisselle ordinaire tournée. il ne s'agit pas de pièces de prestige, mais d'objets de consommation courante. ce qui ne leur intrerdit pas un certain charme, voire un charme certain. Simplicité et élegance...
Un bol cannelé de Châtenay-sur-Seine. La forme des moulures est assez caractéristique de la prériode la Tène CI, le profil général de ce bol est typique des Sénons.
Un autre exemplaire, un peu plus haut de forme. également des Sénons, de Marolles-sur-Seine. On se trouve dans le même répertoire formel.
Un autre bol de Châtenay-sur-Seine. Traitement différent de la moulure pour un même style.
Un gobelet de Marolles-sur-Seine
Les forme des bols Sénons sont bien caractéristiques de ces peuplements. Par contre, le gobelet est issu d'une forme plsu générale de la Tène anciene, et on le retrouve avec diverses variations ou encore dans la Marne, ou chez les Parisii, dont la céramique est maintenant bien connue grâce aux fouilles de Bobigny ou de Nanterre. Comme leurs voisins Meldes, mais peut-être plsu avancés encore dans la techinique du tournage, leurs producions sont issues d'ateliers spécialisés. A témoin, ce plat, parfois nommé Bassin, tout à fait spectaculaire. Il démontre d'une technique de tournage et de montage très élaborée. Un réel problème. même pour un potier moderne...
Un plat de Bobigny, fouilles de l'hôpital d'Avicennes. Profil...
et vue du fond...

Et son original, tel qu'il était montré lors de l'exposition "Nanterre et les Parisii" en 2008.
Ce plat a été réalisé à partir d'une autre argile, beaucoup plus ferrugineuse, dont la décoloration avec le temps peut amener la couleur de surface au brun. Cette forme n'est pas spécifique aux Parisii, on la retrouve dans toute la Picardie jusqu'aux temps de la Guerre des Gaules.
Autres peuples, autres régions...
Les céramiques de la même époque sont très diverses, dans leurs textures et dans leurs formes. Cependant les effets de mode sont tels que certaines formes générales se retrouvent dans presque toutes les populations gauloises, et qu'il faut examiner de près les textures et les détails de décors pour les différencier.
Un Calice arverne
et un petit pot en argile fine micacée
La céramique arverne par exemple se distingue souvent par des argiles comportant de nombreuses paillettes de mica, un polissage très soigné et des décors presque systématiques réalisés au lissoir. Un retrouve bien évidemment de telles pièces de facture plus grossière. Les pots à cuire et marmites échappent à cette catégorie de céramiques fines. Nécessitant des argiles très chamottées résistant au feu culinaire, ils sont souvent modelés, parfois partiellement tournés.
Un pot à cuire arverne réalisé à partir d'une terre grossière, contenant au moisns 40% de sables et graviers jusqu'à 2 mm.
Et en Suisse?
Petit bol cannelé de Münsingen
Petite bouteille de Gempenach
Hélas, les sites d'habitat de la période C1 ne sont pas connus pour le moment, ou alors très mal datés, à tel popint qu'il y est impossible de classifier les céramiques par horizon chronologique. Reste les nécropoles. Si plusieurs d'entre elles sont bien connues, la céramique y est rare, et la datation a été réalisée à partir des armes ou des parures. Etaient-ce les Helvètes qui peuplaient déjà la plateau Suisse? On en est pas vraiment certains. Peuplé, assurément, mais pas qui? En revanche, on a déterminé qu'une branche importante de ce que l'on pourrait appeler les "Protohelvètes" habitait la Bavière actuelle et se sont déplacée vers la fin du IIème siècle avant notre ère sur le plateau suisse. Aucune trace écrite ne subsistant de cette époque, il faut avoir recours aux analyses de matériel archéologique pour tenter, par les styles décoratifs par exemple, de comprendre et dater ces migrations. Peut-être que le très important sanctuaire du Mormont permettra d'apporter quelque lumière sur l'état de la question?
Ces deux pièces helvètes ont été réalisées à partir d'une argile locale, toujours assez sableuse, ce qui leur donne un aspect de surface un pou moins granuleux. A la cassure, le tesson serait gris, et non blanc comme les pièces des Sénons. Cette cassure grise est typique des argiles du plateau suisse, et se retrouve très souvent dans les céramiques de toutes les périodes de l'antiquité qui ont subi une réduction.
Archéologie expérimentale?
Pas entièrement. Une expérimentation digne de ce nom devrait, pour être fiable, se réaliser exclusivement à partir des argiles des régions concernées. Dans deux des cas présentés, chez les Sénons et les Helvètes, les ateliers ne sont pas connus, et dès lors où faudrait-il extraire l'argile? Certes, on peut toujours tenter de reconstiuer des argiles par mélanges de produits du commerce destinés à la céramique moderne, mais ce sera toujours un pis-aller. Cela permet toutefois de produire des pièces très proches de leurs originaux, si elles sont cuites dans des fours ressemblant aux installations antiques. C'est ce que je pratique le plus souvent. Le four à coupole fixe utilisé pour cette cuisson est un four possible pour l'époque gauloise, mais pas certain. la plupart des installations étaient découvertes, se chargeaient par le haut et étaient recouvertes de tessons. Mais au final le résultat diffère peu, expériences faites.
En ce qui concerne les Arvernes, plusieurs ateliers sont maintenant bien connus, et une source d'argile proche de l'atelier de l'Oppidum de Gondole à été identifiée. l'ARAFA (Association pour la Recherche sur l'Âge du Fer en Auvergne) m'en a remis une dizaine de kilos pour essai. Dans ce cas on sera beaucoup plus proches d'une expérimentation archéologique fiable. Cette expérimentation se fera ce printemps au plus tard, en deux ou trois cuissons différentes. Rendez-vous donc en avril ou mai dans ces pages...

Ouvrages et organismes cités:

ARAFA (Association pour la Recherche sur l'Âge du Fer en Auvergne): 
http://arafa.fr/SPIP/


NANTERRE ET LES PARISII. Une capitale au temps des gaulois ? Collectif. Ed. Somogy, 2008, ISBN 978-2-7572-0162-

SFECAG, Société Française d’Etude de la Céramique en Gaule. Actes du congrès de Chelles, 2010, Marseille, ISSN 1297-8213.


lundi 10 décembre 2012

La mort est dans le pré





Le titre pourrait être celui d'un nouvelle de Hitchcock ou de Lovecraft. Ou celui de quelque reportage sur les pesticides qui enpoisonnent nos champs et nos vies. Il n'en est rien, mais ce n'est pas très joyeux pour autant.
C'est d'une exposition temporaire au Musée Romain de Lausanne-Vidy qu'il s'agit.
Et pas n'importe quelle exposition, car il s'agit là de montrer les premiers résultats de sondages exploratoires sur ce qui est probablement une des découvertes les plus intéressantes de l'archéologie lausannoise de toutes ces dernières années.
Sous les courgettes et les côtes de bettes, à peine sous les fondations de cabanons des jardins familiaux lausannois et leurs nains de jardins, une multitude de tombes gallo-romaines était là, oubliées depuis des siècles. 5 ou 6000 tombes, peut-être plus encore. Un véritable trésor qui sera fouillé au fil de ces prochaines années, précédant la construction du futur écoquartier qui a conduit à leur découverte.


L'exposition est conçue comme l'itinéraire d'une sépulture. On est en 127 ap. J.-C. Un habitant de Lousonna vient de décéder. Sa dépouille, avec des fleurs et quelques offrandes, repose sur le bûcher dressé par ses proches...

Le lendemain, ils recueillent dans la cendre refroidie des restes d’ossements calcinés, qu'ils lavent et déposent dans un pot. Une écuelle à l'envers fait office de couvercle. Ils enfouissent l'urne, ajoutent un peu de nourriture et de boisson pour le voyage vers l’autre monde, comblent la fosse avec les déchets de la crémation, marquent la tombe par un petit tertre et une pierre...
...Et le tout tombe dans l'oubli et repose ainsi près de 19 siècles, jusqu'au moment où un plan d'urbanisation amène à sa redécouverte.
Des obsèques d'alors à la vitrine de musée d'aujourd’hui, l'exposition "La mort est dans le pré retrace" le destin posthume des gens de Lousonna. Elle évoque les rites et les croyances funéraires gallo-romaines, montre aussi comment un projet d’aménagement moderne aboutit à enrichir le patrimoine historique, à travers la fouille, la restauration et l'étude de vestiges spectaculaires. Plus que l'exposition de vestige issus des fouilles des premières tombes, elle montre surtout au travers de cet itinéraire le travail d'exhumation, de nettoyage, d'étude, de reconstitution, du pré jusqu'à la vitrine du Musée.
Une urne cinéraire en cours de fouille. les ossements du défunt sont placées dans une une bouteille de verre qui est placée dans l'urne avec les vestiges d'offrandes. Photo © Archeodunum SA, Gollion 
Quelques urnes retrouvées intactes, Ce sont en fait de gros pots de stockage recyclés en urnes cinéraires. Photo © Musée Romain de Vidy
Monter une telle exposition nécessite de montrer plusieurs fois la même tombe évoluant dans le temps. On fait alors appel au potier pour refaire les urnes et la vaisselle d'accompagnement. 6 urnes attendent sagement le jour de leur cuisson...
Hormis l'écuelle qui sert de couvercle à l'urne, l'usage voulait qu'on dépose un peu de nourriture et de boisson auprès des restes du défunt. Ici une série de gobelets issus de sépultures tardives à inhumation.
Gros plan sur une figurine de lapin. de menus objets étaient aussi souvent déposés comme offrandes
Photo © Musée Romain de Vidy

Au fil des prochaines années, la fouille complète de la nécropole des Prés-de-Vidy va donc apporter énormément d'éléments nouveaux à la connaissance de l'agglomération et de la population antiques. D'innombrables objets, souvent intacts, vont enrichir les collections publiques. Et les restes humains de l’époque romaine vont être recueillis, étudiés et conservés.

 Musée Romain de Vidy, 13 novembre 2012 au 14 avril 2013

Exposition réalisée avec l’appui du Musée cantonal d’archéologie et d’histoire (laboratoire de conservation-restauration), d’Archeodunum S.A. (fouille et étude), de l’archéologie cantonale et de la direction de projet Métamorphose, Ville de Lausanne.

mardi 16 octobre 2012

Potiers et tourneurs des temps heroïques: Le tour à bâton.

Il y a un certain temps déjà, j'avais abordé le sujet dans l'article "Potiers et tourneurs des temps héroïques: L'Antiquité". Cet article étant le plus lu de ce blog, et continuant à susciter une grande curiosité, le temps est venu de développer quelque peu le sujet.
Ce n'est pas une mince affaire, les documents sont rares et souvent difficiles à dénicher. Les dater pose souvent un problème, la source étant mal mentionnée, voire pas du tout. Il faut parfois être patient, obstiné, même. C'est essentiel lorsqu'on veut assurer ses sources. Après, il faut gérer leur discontinuité, c'est autre chose...

L'histoire du tour à bâton se confond avec celle du tour à main. On se souvient de ces images, reprises de peintures sur des vases grecs à figures noires des VIIème au VIème siècles avant notre ère: Cette représentation est très précise. La manière dont est construite la roue de ce potier est tout à fait conforme aux roues pleines qui équipaient les chariots de cette époque. Un moyeu rallongé permettait de minimiser le jeu latéral consécutif à une usure trop rapide. On s'est servi de cette rallonge pour stabiliser latéralement la roue afin qu'elle n'oscille pas trop au lancement ou en rotation, ce qui serait préjudiciable au tournage de vases bien ronds. Ici le potier est aidé d'un assistant, mais il pourrait très bien lancer sa roue lui même à la main.
Quand commence-t-on à lancer sa roue à l'aide d'un bâton? On ne le sait pas vraiment. Des bruits courent dans les milieux de l'archéologie classique quant à la découverte d'une représentation d'un tour à bâton d'époque grecque. Mais ce ne sont que des rumeurs. Tant qu'il n'y a pas eu de publication formelle, on n'en saura pas plus...
Les premières représentations assurées datent de l'époque romaine. Ce sont des peintures murales de Pompei, mal connues elles aussi, très dégradées aujourd'hui, peut-être même perdues. Je les avais déjà présentées dans l'article précédent.
Celle ci-contre, dont j'ignore l'emplacement dans la ville antique, est tellement dégradée qu'il a fallu la redessiner au trait pour pouvoir y distinguer la scène: Un atelier équipé de quatre postes de tournage au moins, ainsi qu'une cliente venue acheter des cruches. On distingue bien les bâtons de lancement posés à côté (ou contre?) les roues. la posture de travail des tourneurs est toutefois assez peu vraisemblable. mais rappelons-nous que le peintre n'était pas potier lui.même, et qu'il a peut être traité cette scène de mémoire, d'après une disposition vue dans d'autres ateliers.
La seconde représentation, je l'avais présentée en noir-blanc, c'était la seule vue que j'en avais. Heureusement, entre-temps, après de longues recherches, j'ai finalement mis la main sur une vue en couleurs:
Pompei, Regio II, Insula III, entrée 9
SAP 21631, ww.pompeiinpictures.com
On y voit la scène complète: Un tourneur à son travail, sa roue étant très basse, peut-être installée dans une légère excavation. Le grand personnage a été interprété comme une allégorie de Vulcain. Ce potier travaille sur de petites pièces, peut-être des balsamaires ou des gobelets, dont on distingue quelques exemplaires à sa gauche. La roue semble cerclée et munie de rayons.
J'ai tenté ici de reproduire le plus fidèlement possible la scène de cette fresque. Il a fallu toutefois m'avancer quelque peu auprès de la roue, la position du tourneur de Pompei, bras presque tendus et le haut du corps très incliné n'est pas tenable. Pour respecter l'élévation des bras au-dessus de la roue, je travaille "à la motte" comme on le dit dans notre jargon. C'est à dire que pour tourner une série de gobelets, on place une grosse masse d'argile sur le tour, puis on la centre en cône et on tourne les pièces les unes après les autres en recentrant seulement l'extrémité de la motte si nécessaire. C'est rapide et économique en opérations de centrage et relances du tour. C'est une méthode traditionnelle très connue et encore beaucoup pratiquée en Asie du Sud.
Cette image est donc la plus précise que nous ayons actuellement sur le travail des potiers antiques. Curieusement elle est introuvable, presque totalement inconnue et absente de toutes les publications spécialisées.
Toutefois, à la posture de travail précédemment décrite, je préfère nettement la posture en tailleur ou en demi-lotus. Elle permet de redresser le dos et maintient la colonne lombaire dans une bien meilleure position. Historiquement aussi elle est peut-être plus correcte en ce qui concerne le travail des potiers gaulois ou gallo-romains. De toute la statuaire gauloise que l'on connaît, et il n'y a aucune exception, les personnages sont toujours assis dans la posture du tailleur, du demi-lotus ou du lotus. Et les récits des voyageurs grecs et romaine précisent aussi que le Gaulois ne se servent jamais de sièges, étant toujours assis à même le sol.
Or, les fouilles ont montré que les tours étaient la plupart du temps aménagés dans des fosses, une simple planche située au bord de celle-ci permettrait au tourneur de s'assoir au niveau du sol. Cela lui permet entre autres de déposer ses pièces tournées directement sur le sol, sans avoir à disposer bancs et tables à portée de main...
Mais pour les démonstrations, c'est tout de même plus simple de s'installer avec socle et petit banc, plutôt que de creuser à chaque fois une fosse...

Et après l'époque romaine?

La dernière représentation d'un potier "romain" au travail date du IVème siècle de notre ère. Après cette époque, c'est le grand vide, près de 1000 ans sans aucune image à se mettre sous la dent.
Il faut attendre la fin du XIIIème siècle, peut-être le XIVème pour retouver une représentation de potier.
Par ces deux "miniatures parisiennes" non datées et de source inconnue, nous voyons à nouveau des potiers travailler au tour à bâton.
Les deux vues sont traitées de la même manière, on y voit le potier lançant sa roue et simultanément travaillant sur un vase. Cela peut sembler aberrant, mais il ne s'agit là que des conventions graphiques en usage à l'époque. On veut montrer deux gestes à la fois sur une seule vue.




























Même convention graphique pour de mêmes gestes. Les costumes et la coiffure des personnages représentés semblent indiquer la fin du XIIIème ou le tout début du XIVème siècle.
Les instzallations sont identiques sur les deux vues, une simple roue à rayons posée sur un pivot.



Plus précises sont les vues suivantes:
Boccace, Des Cas des Nobles Hommes, folio 158. Paris, BNF., MS FR 235, 1ère moitié du XVème s.


Très intéressante et très réaliste, cette vue montre un potier en train de tourner sur une roue à rayons, toujours sans châssis. la posture de travail est très proche de celle du potier de Pompei, ce qui montre clairement une saisissante permanence des techniques de tournage.
Et ci-dessous, une autre vie d'une opération de tournage sur une roue "libre".  On notera toutefois que le potier utilise deux petits repose-pieds

La Haye, MMW, 10 A 11, Fol 232 verso, Saint-Augustin, la Cité de Dieu, vers 1478-1480
Et ensuite, deux enluminures, probablement oeuvre d'un même illustrateur sur une Bible historiée déposée à la Biliothèque Municipale de Lyon. On les trouve facilement dans les vastes collections numérisées de cet établissement.
L'illustrateur, très observateur, a parfaitement décrit les deux gestes essentiels du potier. Lancer sa roue au bâton, puis une fois ce dernier déposé, tourner son vase à deux mains.

Lyon, BM, Rés Inc 58, folio 29, Bible historiée (imprimée chez Antoine Vérard), vers 1495

Lyon, BM, Rés Inc 58, folio 92, Bible historiée (imprimée chez Antoine Vérard), vers 1495
 Enfin, pour clore cette série, une enluminure un peu plus tardive, vers 1500, montre à nouveau un tour sans châssis. les deux systèmes devaient coexister, mais au final la fonction reste la même. Une roue, servant de volant d'inertie, que l'on lance à l'aide d'un bâton. Comme à l'époque romaine. 
Chants royaux sur la conception, France (Paris), 1500
 En définitive, que la roue soit pleine, ou à rayons, qu'elle soit munie de trous ou d'encoches, qu'elle soit montée sur un châssis ou non, cela n'y change pas grand chose. Ce sont probablement les nécessités du lieu, la taille des pièces à tourner, la possibilité ou non d'aménager une fosse de tournage qui dicteront les détails de l'installation. 
Et ci dessous, une restitution de ce genre d'installations. Comme sur  la Bible d'Antoine Vérard, on lance la roue au bâton...

Un tour à bâton constitué d'une roue à rayons (une roue de char) monté sur châssis    

 Puis une fois ce dernier déposé,  les deux mains sont libres pour le tournage...

Bien qu'il paraisse archaïque, ce système de tournage est très performant et a été fréquemment utilisé en France jusqu'en plein XXème siècle. Comme ce potier à La Borne, vers 1930. Son tour est installé dans une fosse. C'est une roue métallique à rayons, elle se lance toujours au moyen d'un bâton...
Ce n'est que la généralisation des tours mus par des moteurs électrique qui signera l'arrêt de mort de ce genre d'installations dans le monde occidental. Et bientôt en Asie du Sud aussi...

Et le tour à volant d'inertie lancé au pied dans tout ça? 
Il n'apparaît pas avant la Renaissance, apparemment. Mais ce sera un sujet pour un prochain article, ô fidèle lecteur...

lundi 8 octobre 2012

Fabriquer un dolium tourné

Et à nouveau un peu de technique...

A nouveau un dolium donc, mais basé sur une technique de fabrication assez différente. Il sera cette fois essentiellement tourné, bien que le montage de base se fasse toujours au colombin.

Fabriquer de grandes pièces requiert une solide technique. Et en ce qui consiste du tournage, il n'y a pas de miracle. Certaines hauteurs sont parfois impossibles à tourner en une seule fois, tout comme les amphores. Il faut donc ruser. Soit on procède par empilement d'éléments, ce qui tient parfois de la gymnastique et de l'équilibrisme, soit on pose des colombins plus ou moins gros que l'on amincit et monte ensuite  par tournage.
Montage d'un gros saloir en plusieurs éléments. Noron-la-Poterie (Basse Normandie) vers 1900. Comme beaucoup de potiers de sa génération, cet homme travaille toujours au tour à bâton...
Monter de telles pièces en deux ou trois éléments demande un équipement particulier, cercles de maintien et corbeillons afin de ne pas trop déformer les ébauches lors de la saisie puis de l'assemblage. Le tour doit aussi être adapté à la taille des pièces....

Mais si on souhaite éviter ce genre de manipulations, le tournage de colombins peut parfaitement faire l'affaire. Ce potier japonais de l'île de Shikoku, vers les années 1950 démarre une jarre à fermenter le saké. Il monte des colombins gros comme le bras, qu'il tournera ensuite. Chaque colombin lui permet de rajouter au moins 20 cm. de hauteur à sa pièce en construction.
Il faut toutefois être prudent lors d'un tel travail. Après chaque colombin, on laissera la jarre reposer et sécher pendant quelques heures. Ainsi elle ne risquera pas de s'effondrer sous son propre poids.
A l'arrière de l'atelier, on voir d'autres jarres en cours de montage. Si le temps est très sec, on peut si nécessaire régulariser la vitesse se séchage en entourant certaines parties de vases par des "paillassons", sortes de nattes de roseaux, de joncs ou de paille.
Ce potier utilise pour son travail une petite tournette à barillet toute simple. Si au début, l'inertie est faible, au fur et à mesure du montage cette dernière augmentera et facilitera la rotation de l'installation. Plus la pièce est lourde et plus elle devient facile à travailler...Enfin, presque. quelques échafaudages et une petite aide sont parfois nécessaires...
 C'est une méthode de travail presque aussi ancienne que l'invention du tour à main, et bien des grandes jarres antiques sont montées de cette manière, spécialement dans le monde méditerranéen.

Et c'est ainsi que je monte ce dolium d'une hauteur de 65 cm. environ pour une capacité approximative de 50 litres, sur un petit tour à main. 
C'est en plein hiver, et comme le chauffage de mon atelier est assez aléatoire, je préfère travailler dans ma pièce à vivre et profiter de la bonne chaleur de mon poële à bois. En plus c'est une technique peu salissante, les opérations de tournage se réalisent en humectant légèrement les parois. On ne risque donc pas de projections sur les tapis. Ici, pose d'un colombin. la pièce étant très fine pour sa taille, environ 5 mm. d'épaisseur, je préfère travailler avec des colombins de taille plutôt réduite, 4 à 5 cm. de diamètre. Il suffisent pour monter 10 à 12 cm. de paroi et ne chargent pas trop l'édifice. 
Une fois le colombin posé et aminci par pincement, il est frappé à la batte, ce qui régularise l'extérieur de la paroi et parfait le collage. 
 L'intérieur est ensuite lissé à l'estèque afin d'éliminer les aspérités les plus importantes...
Puis la partie fraîchement montée est amincie et montée par tournage. Lorsque la pièce est ainsi ouverte, elle est très instable et il faut procéder en plusieurs passes afin d'atteindre l'épaisseur voulue.
Finalement on lisse les surfaces à l'estèque, puis on laisse sécher un peu, et on recommence avec le colombin suivant. Dés que le diamètre maximal est passé, la géométrie de la jarre contribue à sa stabilisation, et les risques de déformation ou de désastre lors du tournage deviennent moindres. Une pièce de forme fermée est ainsi toujours plus stable qu'une forme ouverte.
Il faut veiller, surtout lors des ruptures de courbes, à travailler le plus régulièrement possible afin de faciliter la mise en forme par tournage. Si nécessaire, je n'hésite pas à couper les irrégularités au fil afin de poser un nouveau colombin sur une tranche bien régulière.
En atteignant la limite de l'épaule, je préfère tourner essentiellement à l'estèque, outil qui facilite aussi le rétrécissement du diamètre...
Encore un colombin et le col est atteint. ä cet endroit, il est absolument indispensable de sectionner au fil toutes les irrégularités afin de repartir sur une section parfaitement plane. En posant un colombin bien régulier, on se simplifie énormément la tâche. Tourner une lèvre bien régulière sur ce type de pièce n'est pas évident, alors autant se faciliter la tâche...
Le colombin est posé. on va d'abord le battre et le régulariser à la spatule. Dés lors le tournage final ne posera pas trop de problèmes...
Un dernier lissage après le temps de séchage réglementaire et c'est terminé: 
 65 cm. de haut, un peu plus de 50 de diamètre pour un peu moins de 10 kg de terre. ça a l'air facile, mais il faut savoir être patient avec ce genre d'animal. ne pas respecter les temps de séchage intermédiaires, c'est courir à la catastrophe. C'est pourquoi dans les poteries traditionnelles les tourneurs avaient toujours plusieurs pièces en cours. ce nombre dépendait de leur taille bien sûr, mais aussi de la météo. Si l'air est très humide, elles prendront plus de temps à sécher, sont on travaille tour à tour sur un plus grand nombre de pièces. Et si le temps suite à une saute d'humeur s'assèche brutalement, on sort les tissus humides ou les paillassons...

Après, il ne reste plus que le problème de la transporter jusqu'au four et de la placer dans celui-ci sans la casser... puis de la cuire sans la casser non plus...

Mais rassurez-vous, ô fidèles lecteurs. Tout s'est bien passé lors de la cuisson. Je vous l'illustrerai un de ces jours. Dès que j'aurai retrouvé les photos que j'ai égarées dans les dédales d'un de mes disques...