jeudi 8 janvier 2015

Une visite impériale

Hadrian Visiting A Romano British Pottery

Sir Lawrence Alma-Tadema, vous connaissez?

Non, et ce n'est pas une surprise. L'oeuvre immense de ce peintre issu du courant académique, ou plutôt du néoclassicisme victorien, est quelque peu passée de mode. Et pourtant il eut son heure de gloire, ou plutôt ses années. Un des artistes majeures de la seconde moitié du XIXème siècle.
Lawrence Alma-Tadema, de son vrai nom Lourens Alma Tadema, naît en 1836 dans une famille néerlandaise aisée. Très tôt, l'enfant montre de grandes dispositions artistiques qu'il développe en dessinant et peignant, de même qu'un grand sens de la méthode. Ainsi, en 1851, il peint un portrait de sa sœur qu'il numérote Op. [Opus] I, une pratique qu'il gardera tout au long de sa vie, sa dernière toile portant le numéro Op. CCCCVIII...
 En 1852, il intègre l'Académie royale des beaux-arts d'Anvers et devient l'élève de Gustave Wappers puis de Nicaise de Keyser. Tous deux sont proches du mouvement romantique, et de Keyser, en particulier, encourage ses élèves à peindre des sujets historiques. En 1856, il quitte l'académie, devient l'assistant du peintre Hendryk Leys et s'installe chez le peintre et archéologue belge Louis de Taye, au contact duquel il s'intéresse à l'histoire et à l'archéologie. En 1862, il se rend à Londres pendant l'Exposition universelle. Lorsqu'il visite le British Museum, il est très impressionné par la collection d'objets égyptiens et particulièrement par la « frise du Parthénon », ce qui influencera considérablement son œuvre par la suite.
En 1863, il épouse une Française, Marie Pauline Gressin de Boisgirard, et découvre l'Italie lors de leur voyage de noces. Alors qu'il avait prévu d'y étudier l'architecture des églises primitives, il tombe sous le charme des ruines de Pompéi. Il en rapportera une impressionnante collection de photographies qui lui servira de documentation pour ses toiles à venir, représentant pour la plupart des scènes de la vie courante durant l'Antiquité. Plus tard, sa grande habileté à reproduire l'architecture antique lui vaudra le surnom de «peintre du marbre ».
De retour d'Italie, il s'installe à Paris où il rencontre le célèbre marchand d'art belge Ernest Gambart, qui l'encourage dans la voie qu'il a choisie et lui commande une vingtaine de toiles pour sa galerie londonienne. Le succès est immédiat. Puis, craignant une invasion prussienne, il quitte la France, tout comme Monet et Pissarro, et s'installe à Londres en 1870, et en 1873, devient sujet britannique.
Les expositions se succèdent, lui assurant un immense succès, aussi bien en Europe qu'aux États-Unis ou en Australie, pays où de nombreux prix lui sont décernés. On le classe parfois à tort comme tenant du mouvement préraphaélite. Si certaines de ses toiles peuvent le laisser penser, il est bien établi qu'il ne fit jamais partie de ce mouvement, sorte de confrérie fermée (Pre-Raphaelite Brotherhood). En 1876, il devient membre de l'Académie Royale. C'est durant cette période qu'il peint "Hadrian visiting a romano-british pottery".
 En 1899, il est anobli par la reine Victoria.A près une carrière de près de soixante ans, il meurt au spa de Wiesbaden, le 25 juin 1912. Son corps repose dans la cathédrale Saint-Paul de Londres.
Hadrian Visiting A Romano British Pottery, 1884. Huile sur canevas, coupée et retouchée, 159 x 171 cm.
Stedelijk Museum (Amsterdam, Netherlands). Photo © Creative Commons, licence GNU FDL

L'une de ses 408 oeuvres a donc retenu notre attention. Intitulée "Hadrian Visiting A Romano British Pottery", elle illustre une visite de l'empereur dans un atelier romano-britton tel que l'artiste s'est plu à l'imaginer. Cette  composition s'aligne parfaitement dans l'oeuvre générale d'Alma-Tadema, et au romantisme sous-jacent à ce travail suivant parfaitement les canons néoclassiques. Qui s'imaginerait aujourd'hui un empereur romain visitant un atelier de potier? Et pourtant, en cette fin du XIXème siècle anglais, faïences et porcelaines connaissaient une vogue immense, une sorte d'âge d'or, et il ne serait pas du tout apparu incongru  que la Reine de déplace en personne chez un fabriquant ou un négociant pour choisir SON nouveau service à thé! Or chacun voit et comprend l'histoire en la comparant au moeurs de son époque...Au-dela du pittoresque de cette scène, attachons-nous à quelques détails qui sont le sujet principal de ces pages: Les céramiques britto-romaines telles que Sir Lawrence Alma-Tadema les a représentées, notamment sur les deux fragments qui suivent.

The Roman Potters in Britain, 1884
Huile sur canevas, coupée et retouchée, 72 x 119 cm.
Royal Collection, The Hague (La Haye)
Photo © Creative Commons, licence GNU FDL


Ces deux représentations de "potiers britto-romains" sont eux aussi recoupé et retouchés. L'histoire de ces oeuvres est trouble, une part d'inconnu subsiste. Sont-ce trois parties d'une oeuvre monumentale qui pour une raison ou pour une autre ont été découpées, remontées par l'artiste sur des châssis puis partiellement retouchées? Ce n'est pas impossible.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que le séjour de Sir Lawrence chez Louis de Taye a laissé des traces et lui a permis d'exercer son regard, et, compte tenu des connaissances de son époque, de parfaitement placer  un objet dans son contexte historique. En l'occurence,  la visite de l'empereur Hadrien en Bretagne insulaire, une "inspection" pourrait-on même dire, qui se déroule en 122 de notre ère. Compte tenu des connaissance de l'époque, ces céramiques choisies pour meubler cette boutique de potier sont relativement correctes. Tout au plus une partie d'entre-elles sont un peu tardives pour l'époque, nous les datons aujourd'hui de la seconde moitié du IIème siècle.
Nous nous trouvons bien dans un atelier de potiers, la toile représentée ci-dessous le montre bien par les tourneurs travaillant en arrière-plan. Or, détail intéressant, certaines de pièces que l'on distingue à peine derrière l'empereur sur la toile principale proviennent d'ateliers gaulois ou rhénans, ce que Sir Lawrence Alma-Tadema, ne pouvait probablement pas savoir. En cette fin de XIXème siècle, l'archéologie consistait le plus souvent à déterrer des objets pour les classer dans des vitrines ou pour constituer des cabinets de curiosités commentés par les historiens de l'art. Le fait que certaines de ces céramiques aient été découvertes en contexte de production ou au contraire de consommation peut fort bien être passé inaperçu, et en plus les courants commerciaux et donc les éventuelles importations étaient mal connus.  L'archéologie contextuelle, permettant de bien mieux dater objets et ensemble par comparaison avec leur environnement ne s'est développée que bien plus tard.
The Roman Potter, fragment of ‘Hadrian Visiting a Romano-British Potter’, 1884
Huile sur canevas, fragment coupé et retouché,152 x 80 cm.  Musee d’Orsay, Paris, France
Photo © Creative Commons, licence GNU FDL
Le choix des poteries représentés est donc pour le moins confondant, dénotant une grande maîtrise des contextes historiques et culturels. Toutes ne sont pas identifiables car certaines d'entre-elles dorment dans les réserves des musées et ne figurent pas dans le publications modernes, et d'autres sont difficiles à distinguer dasn l'ambiance n peu sombre des arrières-plans. Toutefois celles illustrées sur le plateau transporté par le potier ci-dessus sont connues.
la première à partir de la gauche est aisément reconnaissable. Il s'agit probablement d'une production de la Nene Valley, qui est ou a été exposée au British Museum ou encore au Museum of London. Malheureusement cette référence a disparu est n'est pour le moment plus accessible. Il s'agit toutefois assurément d'une production britannique, son style ne permet pas de confusion. Comme toutes les pièces qui suivront le décor n'est pas moulé, mais réalisé à main levée à la barbotine.











A son côté, un grand gobelet dont le style est apparenté aux productions de Colchester, et exposé au Colchester Castle Museum. Il faut bien préciser "apparenté". Car si de tels gobelets ont assurément vu le jour dans ces ateliers de l'ancienne Camulodunum, ils sont parfois très proches par leurs formes et leurs décors aux productions de Cologne, également importées dans les îles britanniques. La couleur de la pâte et de l'engobe, ainsi que leurs textures permettent souvent de les différencier. Or cette photo d'amateur prise eu travers d'un verre de protection ne permet pas une identification certaine. cette production débute vers les années 100 à 120 de notre ère.




Les deux exemplaires à gauche et ci-dessous, faciles à reconnaître sur le plateau que porte le potier proviennent d'ateliers du centre de la Gaule, probablement Lezoux et sa région. Fréquemment importés dans les Îles britanniques, il n'est pas étonnant qu'elles figurent dans cet assortiment.



Un gobelet à décor de rinceaux végétaux. Musée de la Céramique, à Lezoux. Seconde moitié du IIème siècle. (Photo de l'auteur)

















Un gobelet, également de Lezoux, comportant des animaux (chiens en lièvres) entre les mêmes types de rinceaux végétaux. Musée de Bavay. Seconde moitié du IIème siècle

Photo © Musée de Bavay






Autre pièce majeure des ateliers de Colchester figurant sur la toile principale,devant le bras droit de l'Empereur:
Cet extrardinaire gobelet montre un décor de courses de chars, probablement réalisé partiellement par des motifs d'applique moulés, puis rehaussés à la barbotine, c'est un fleuron des ateliers insulaires du IIème siècle. D'autres gobelets de ce même type sont connus, montrant notamment des combats de gladiateurs ou d'hommes contre des bêtes. Il est possible qu'au moins l'un d'entre eux soit représenté sur la rambarde de l'escalier au bas de la toile principale, les détails ne sont pas suffisamment visibles même sur les meilleurs prises de vue. Par leur forme, ces pièces sont apparentés aux productions de Cologne de la première moitié du IIème siècle. Le contexte de leur découverte n'étant pas connu, il es difficile d'en dire plus.




Gobelet à "décor de cirque".  Ateliers de Colchester, IIème siècle. British Museum.



En représentant ainsi l'aspect sombre et envoûtant de ces céramiques du service à boire du IIème siècle, l'auteur a pu ajouter une petite note dramatique à une scène somme toute paraissant bien commune. C'est ce qui fait le charme de ces peintures au style paraissant aujourd'hui un peu désuet. Et pour conclure, Sir Lawrence Alma-Tadema ayant été surnommé "Le Peintre des Marbres", nous ne résistons pas à vous présenter "Sculptors in Ancient Rome", une oeuvre datant de 1877.


Sources: 




Je suis Charlie


lundi 29 décembre 2014

Retour sur la cuisson de Pistillus

Elle avait été annoncée, elle s'est comme prévu déroulée à Autun entre les 4 et 6 décembre derniers, elle a été magnifique!
Il y aurait tant à dire sur une telle fournée! Les aspects techniques seulement demanderaient au moins 5 articles, et encore nous n'en aurions pas fait le tour.
Pour simplifier, je préciserai que le principe est le même que décrit dans un article précédent:
"Une cuisson de céramiques métallescentes dans un four mouflé"
Reprendre une fois de plus tous les aspects pratiques deviendrait fastidieux. Pour une fois, restons-en à quelques impressions photographiques...et le reste en vidéo!

Des gobelets, encore des gobelets! Le service à boire gallo-romain constitue l'essentiel de la céramique métallescente. Donc on charge beaucoup de gobelets. Et quelques bols tout de même!
(Photo © Légion VIII Augusta)

A l'étage supérieur, des cruches et des mortiers, quelques gobelets encore... ( Photo P.-A. Capt)
Et entre les cruches et les mortiers, il reste un peu de place, que l'on comble avec des statuettes. Qui peuvent aussi faire office de cales d'enfournement...
(Photo © Légion VIII Augusta)
Ce type de chargement pourrait bien correspondre à ce qu'il se fabriquait dans l'"atelier de Pistillus" découvert en 2010 au Faubourg d'Arroux. Des moules destinés à la fabrication de tels objets y ont été découverts, mêlés à des ratés de cuisson de céramique métallescente, de cruches et de mortiers.
Rien ne se perd! Nous réutilisons  comme cheminée le col d'une amphore brisée lors d'une cuisson précédente. Puis on couvre le tout soigneusement.
(Photo © Légion VIII Augusta)
Et la cuisson peut démarrer!
Au travers des vibrations de l'air dues à la chaleur...
Photo © Sarah Pierris

Quelle chance que nous ayions cassé cette amphore la dernière fois! Très pratiques ces cols brisés; nous y repenserons la prochaine fois!
Photo © Sarah Pierris
Et en plus, cela permet un excellent regard à l'intérieur!
Photo © Sarah Pierris
Et permet un bon dégagement des gaz de combustion...
Photo © Sarah Pierris





Le public était présent, malgré la température tout à fait hivernale et un petit vent aigre propre à décourager les moins téméraires. les céramique se sont arrachée. Et, comme on pouvait s'en douter,les céramiques se sont arrachées sitôt défournées. Nous avosn pu en sauver quelqeus unes du pillage. Ce ne sont pas les plus belles, simplement des gobelets tout à fait ordinaires. Qui ne sont pas si mal que ça, tout de même.
Ce sont les mêmes pièces photographiées deux fois sous des lumières naturelles différentes. C'est ce qui fait le charme de ces pièces aux reflets irisés, cette incroyable faculté de changer de coloris selon l'environnement lumineux.
Lumière plutôt neutre, un jour de brouillard très épais.


Et ici, premier soleil du matin, en exposition directe...
On recommencera, c'est promis!

Un grand merci à:
 
- L'INRAP, qui était présente les trois jours de l'évènement, et notamment Stéphane Alix, responsable d'opérations, qui aa dirigé les fouilles de l'atelier de Pistillus, qui qui nous a mis à disposition toute la documentation nécessaire à la reconstruction de ce four de Pistillus!

- A la Ville d'Autun, qui a mis à disposition le four, mais surtout la maison , la "Domus Augustae", abritant le siège social de la Légion VIII

-Au staff de l'association Légion VIII Augusta, sans qui rien n'aurait été possible, qui nous a mis gracieusement toutes ses infrastructures à disposition.

- Au réalisateur de la vidéo, JORI AVLIS  (José Da Silva) membre de l'association Légion VIII Augusta.

- A tous les inconditionnels qui nous ont accompagnés lors de cette fournée mémorable, notamment  Véronique et Dom' de la Poterie des Grands Bois, au aussi Claude Aussage, céramiste et constructeur de fours au long cours!

- Et enfin à Sarah Pierris du Creusot, photographe et auteure d'un beau set de photos!

Pour rendre visite à quelques protagonistes:

Claude's Aussage Pots

La Poterie des grands Bois









mercredi 19 novembre 2014

LA CUISSON DE PISTILLUS

Les 4, 5 et 6 décembre 2014, Le potier gallo-romain Pistillus revivra à Autun, en Bourgogne! 

En partenariat avec l'association LEGION VIII AUGUSTA, l'INRAP et la Ville d'Autun, une cuisson de céramiques romaines aura lieu au siège de l'association, la Domus Augustae, à Autun en Bourgogne.
A cette occasion, je personnaliserai Pistillus, le potier gallo-romain de l’Antiquité basé à Autun à la fin du IIe siècle et au début du IIIème siècle ap. J.-C

Le public pourra assister à toutes les étapes de cette aventure, de l’enfournement des pièces le jeudi matin jusqu’à l’ouverture du four le samedi matin à 11 heures.
Programme

Jeudi 4 décembre
De 10h à 12h : chargement du four
De 14h à minuit : cuisson
(vin chaud offert aux visiteurs)

Vendredi 5 décembre
Rencontres avec le public

Samedi 6 décembre
11 h : ouverture du four, vin chaud et mise en vente des pièces sorties du four
Après-midi : vente des céramiques


À propos de la cuisson

Nous présentons pour la première fois au public toute la démarche d’une cuisson expérimentale telle qu’on suppose qu’elle a pu être pratiquée dans l’atelier de Pistillus, mais aussi dans les ateliers récemment découverts dans le quartier antique de la Gennetoye, près du Temple de Janus.
Dans ce but le four qui a fonctionné plusieurs fois sur la Place des Marbres a été transformé afin d’approcher au plus près la configuration qu’il avait lors de son utilisation au début du IIIème siècle à Augustodunum. C’est ainsi qu’on tentera d’y réaliser une série de gobelets et coupes métallescentes, mais également de la céramique dorée au mica et des statuettes en terre blanche.

Mise à jour vendredi 5 décembre: 
La cuisson a eu lieu comme prévu hier jeudi. 
A suivre sur la page Facebook de la Légion VIII
 https://www.facebook.com/LegionVIIIAugusta





Téléphone : 06 77 47 32 32
Adresse postale : 6 avenue du 2ème dragons
71400 Autun

jeudi 9 octobre 2014

Une cuisson de métallescentes dans un four mouflé

En 2010, une fouille de sauvetage conduite par l'INRAP dans le  Faubourg d'Arroux à Autun mettait au jour, dans un quartier de l'antique Augustodunum où se mêlent belles demeures et installations artisanales, l'atelier supposé du potier Pistillus. Ce dernier, un coroplathe jusqu'alors connu par ses signatures figurant sur des moules destinés à la confection de statuettes en terre blanche, n'était que supposé être originaire de cette ville. La découverte par les archéologues de l'INRAP de moules, figurines et ratés de cuisson signés Pistillus, ainsi que d'un four assez bien conservé, commence à lever le voile sur l'activité de cet artisan. Cet organisme a mis en ligne un reportage intéressant sur ces découvertes, vous pourrez le découvrir ici:
http://www.inrap.fr/archeologie-preventive/Actualites/Communiques-de-presse/p-10804-Pistillus-celebre-potier-antique-retrouve-a-Autun.htm
Mais e plus intéressant, aux yeux de l'archéocéramiste est sans conteste le four:
Vue de dessus des vestiges du four. la sole s'est partiellement effondrée et a été réparée deux fois au moins, puis le four a été abandonné après le dernier accident. On remarque encore, particularité rare et étonnante, l''insertion de plaques de chemisage le long des parois. Ces protections permettaient de canaliser le feu le long des patois de la chambre de cuisson, et ainsi les "coups de feu" pouvaient être évités sur les céramiques mises à cuire.
Photo © Stéphane Alix / INRAP
Ce four comporte donc un élément particulier, apparemment jamais documenté sur les installations de cette époque, le haut-empire entre le Ier et le IIIème siècle. Il s'agit bien d'un "mouflage" ou d'un "chemisage" de la chambre de cuisson afin de réduire les risques de coups de feu. Mais était.ce bien nécessaire pour y cuire des statuettes? Pas forcément...
De très nombreux tessons de céramique métallescente ayant été retrouvés tout autour du four ainsi que dans son aire de travail, nous supposons que cette installation n'a pas servi qu'à cuire des statuettes ou de la céramique commune claire comme des cruches par exemple, mais qu'il était probablement principalement destiné aux gobelets engobés à couverte métallescente. Or, sur ce type de céramique, si on souhaite donner ces fameux reflets irisés au vernis argileux, une cuisson assez vigoureuse atteignant de fortes températures est nécessaire. Le risque de voir de nombreuses pièces surcuites, brûlées et parfois déformées devient assez important et peut nécessiter des précautions particulières. Ce chemisage peut en être une excellente raison. L'essentiel de la chaleur et des flammes passant par les ouvertures latérales, les "carneaux", le montage d'une paroi intermédiaire formée de plaques de terre cuite peut s'avérer une excellente solution.
Mais comment cela fonctionne-t-il?
Le meilleur moyen de la savoir est de tester une combinaison. Nous avons réalisé ainsi une cuisson expérimentale lors d'un cours de spécialisation avec des céramologues INRAP à Autun même, la ville qui a vu Pistillus développer son art! La ville d'Autun mettait pour l'occasion son four à disposition, l'installation même qui avait été construite pour les Journées Romaines peu après la découverte du Faubourg d'Arroux.
L'expérimentation était prévue de longue date et le four a donc été aménagé pour la circonstance.
L'association Légion VIII Augusta mettait également des infrastructures à disposition, le "four de Pistillus" ayant été installé définitivement dans le parc attenant au siège social.
Mais revenons maintenant au principe de cette cuisson
La vue en plan schématise le réseau des ouvertures de la sole. En rouge, les plaques qui constituent le chemisage interne. Les pointillés montrent le système de supports  sur lesquels repose la sole. Sous cette dernière, on maintient ainsi un important espace pour la répartition des flammes qui assureront un chauffage optimal.





Ces plaques du chemisage, assez fines, ne peuvent pas dépasser une certaine hauteur, une trentaine de centimètres paraissant un maximum. Plus hautes, elles deviendraient très fragiles et risqueraient de se casser ou de fortement se déformer lors des cuissons. Les arrêter à mi-hauteur de la chambre de cuisson permet aussi de s'en servir comme supports d'étagère de reprise de charge. On peut donc ensuite empiler un maximum de pièces au-dessus de la "chambre à gobelets" sans que ces derniers risquent de se déformer sous la charge.
De plus les températures atteintes dans ce genre de four sont fortement dégressives. Ainsi une charge complète de gobelets peut parfaitement être surcuite au fond, et sous-cuite tout en haut. Les premières seront hors d'usage, et les secondes devant être recuites. Travailler ainsi permet de combiner deux variantes de céramiques, la gobeletterie métallescente cuite à haute température, puis des communes claire nécessitant une chaleur moindre. Mais en sommes-nous certains? Pas vraiment tant que nous n'aurons pas retrouvé les restes d'une cuisson en place dans un four.. Les vestiges d'étagères sont connus dans de nombreuses installations, et pas seulement les fours à sigillée ou les plaques reposaient sur les raccords de tuyauterie interne. Mais d'autres fours à flammes vives ont livré de nombreux éléments de tuiles plates surcuites, qui très vraisemblablement étaient constituées en casiers permettant ainsi d'empiler des céramiques sur de grandes hauteurs.
De plus, quid des carneaux internes? il ne subsiste aucune trace de protection quelconque qui ait permis d'atténuer les flammes passant par ces orifices. Même si ces carneaux sont de petite taille, il ne semble pas logique que les potiers de Pistillus se soient donnés tant de peine pour chemiser ce four et laisser les carneaux à nu! la réponse nous parviendra plus tardivement, après l'installation de notre four, lors des fouilles du quartier de la Gennetoye en juillet 2014. Sous la forme de douilles de réduction bloquent partiellement le passage des gaz de combustion par les carneaux internes. Il ressemblent à des beignets et ne laissent pratiquement pas de traces...
Pour cette édition, nous avons opté pour des cales tubulaires percées de petits évents latéraux, souvent documentés sur d'autres installations, mais pas encore à Autun... Ils fonctionneront un peu comme des diffuseurs de gazinières tout en servant également de supports d'étagères.
Le four équipé de sa chemise interne et des cales tubulaires. Certaines se trouvent sur des carneaux, d'autres pas et ne servent que de cales d'étagères.
Installer un tels chemisage est assez rapide, et ces plaques peuvent au besoin être démontées pour des cuissons plus classiques. On y gagne ainsi en volume utile.

 Et c'est parti! Nous attaquons le chargement, opération périlleuse s'il en est. C'est paradoxal, mais c'est souvent là qu'on fait de la casse... Les pièces crues, souvent très fines sont très fragiles.

 En fait, c'est lors du chargement du four que tout se stabilise. Lorsque la partie inférieure est remplie, les risques d'effondrement de piles de céramiques ou de basculement de cales ou de plaques deviennent pratiquement nuls.

Les plaques intermédiaires sont posées, consolidant encore le tout. Ce sont d'anciennes tuiles moulées à la main. La terre sableuse dont elles sont constituées résiste parfaitement au feu, mais la répétition des cuissons peut entraîner d'importantes déformations ou affaissements.

 La partie supérieure est à son tour remplie. On y met quelques gobelets engobés qui fonctionneront comme témoins de température.

Puis une bonne couverture de tessons pour assurer la rétention de chaleur... Il est 14 heures et la cuisson peut démarrer! Combien de temps durera la cuisson? Nous n'en savons rien. Une première fournée en décembre dernier avait montré que le four tirait bien, mais en cette occasion, avec le chemisage et la température qu'il sera nécessaire d'atteindre, cela risque de prendre un peu de temps...

C'est à la nuit tombante que l'on commence à voir ce qui se passe dans le four. Les couleurs d'incandescence s'avivent, la température monte...

Lorsque la couverture de tessons devient très chaude, les gaz de combustion se réenflamment, ce qui est toujours très bon signe...Et en fait c'est la couleur de ces flammes qui nous donnera le signal que la température nécessaire est atteinte. Mais quel signal faut-il attendre lorsque c'est la première expérience d'un nouveau type de cuisson? Bonne question...

Bonne question pour laquelle la recherche d'une réponse plausible peut demander un certain temps. Voire même un temps certain... Propice à certaine méditations...
Donc à 2 heures du matin, la couleur des flammes passant au bleuté semblant correcte, nous terminons la cuisson. Ce n'est pas sans inquiétude...
Sentir jusqu'où mener une cuisson, sentir quand il faut arrêter le feu est une question qui a toujours torturé les potiers de tous les temps et de tous les lieux...
Une cuisson est une espèce de long palabre dont l'issue est souvent incertaine, mais les traces toujours visibles..

Le lendemain en fin d'après-midi, défournement! Un peu de suie est encore présente sur les plaques de couverture.

La partie supérieure de la charge est parfaitement cuite, sans excès.

Les gobelets engobés n'ont pas grésé et sont restés rouges ce qui est normal. Un seul d'entre eux a commencé à gréser en partie. On trouve souvent des pièces antiques ainsi partiellement grésées, une partie étant sombre et l'autre claire.

Et surtout, grand soulagement, la partie inférieure de la charge est très bien cuite, avec de nombreuses pièces aux reflets irisés.

Une partie de la fournée. Il y avait en tout une centaine de pièces. Un seule casse. Lors d'une manipulation avant le chargement... Et aucune à la cuisson.












Le gobelet qui se trouvait dans la parie supérieure. Il présente ce flammage caractéristique des céramiques engobées gallo-romaines. D'autres pièces identiques placées dans la partie supérieure sont insuffisamment cuites, ce qui était prévisible. Elles repasseront dans la prochaine fournée.












Un gobelet à col cintré caractéristiques des productions d'Augustodunum. Il présente ces fameux reflets irisés, qu le font changer de couleur selon la lumière ambiante. Bleu à violet à l'extérieur par beau temps, il devient doré en lumière artificielle. Ici, la photo est prise en lumière naturelle, sous un ciel parfaitement gris...















Une autre pièce, un gobelet à haut col, présente un coloris un peu différent. le vernis est le même, mais le mélange de terres différent. le choix d'une combinaison entre l'argile pour le tournage et le vernis peut radicalement changer la couleur de la pièce







Belle réussite donc! mais pas facile à gérer en ce qui concerne les températures. Car vous l'aurez compris, ce serait trop facile de travailler à la sonde électronique. Et quelle importance si nous avons atteint 950, 1000 ou 1050 degrés? L'essentiel est que ce soit bien cuit....

Et merci à:

- Emmanuelle Du-Bouetiez-De-Kerorguen
- Annie Lefèvre
- Nadine Mahé-Hourlier
- Caroline Claude
- Elisabeth Lecler-Huby
Toutes céramologues INRAP,  qui ont participé activement à cette aventure et au stage dont c'était un des points culminants!

- Stéphane Alix, Responsable d'opérations INRAP, qui m'a mis à disposition toute la documentation nécessaire à la reconstruction de ce four de Pistillus!

- Yannick Labaune, Archéologue municipal de la Ville d'Autun, qui m'accorde toutes les facilités pour dénicher le tesson miracle ou l'élément clé du four inconnu dans ses caisses de mobilier de fouille!

- A la Ville d'Autun, qui a mis à disposition le four, mais surtout la maison , la "Domus Augustae", abritant le siège social de la Légion VIII

- Et enfin à l'association Légion VIII Augusta, sans qui rien n'aurait été possible, qui nous a mis gracieusement toutes ses infrastructures à disposition.

On recommencera, c'est promis et c'est pour bientôt!