mardi 15 avril 2014

Fabriquer une amphore gréco-italique.

Avant d'attaquer les chapitres techniques, il convient de faire une petite présentation. Qu'est-ce qu'une amphore gréco-italique?
Son nom dit clairement son origine: Grèce, et surtout Italie, notamment la Côte tyrrhénienne. Mais aussi la Sicile, et peut-être d'autres régions encore. Les débuts de sa production sont à situer vers 350 av. J.-C. à une époque ou l'essentiel de l'Italie méridionale était encore la Grande Grèce. ce n'est que vers 280 à 270 que le la plupart des cités grecques d'Italie méridionale rentreront dans l'alliance romaine.
Les dernières cités indépendantes ne tarderont pas à suivre le mouvement, de gré ou de force. Tarente tombe en -272 lors de la guerre de Pyrrhus, puis avec Syracuse prend parti pour Carthage lors de la seconde guerre punique. Ces deux villes tombent en -211 après un siège de trois ans. C'en est fini de la Grande Grèce, l'Italie est désormais romaine...
D'où donc cette appellation de "gréco-italique" pour ces types d' amphores. Eh, oui ces types, parce qu'il y en a plusieurs... 250 ans de production, c'est long, et tous les types de céramiques évoluent. Les modes changent, les techniques aussi.
L'amphore gréco-italique est dérivée d'une forme étrusque très trapue, dont les premiers exemplaire produits vers 350 av. J.-C vont s'inspirer. Elle s'effile au cours des années pour aboutir à une forme beaucoup plus élancée.
il s'agit en fait d'une évolution continue qui aboutit aux amphores tardo-républicaines de type "Dressel 1" que l'on trouve en grand nombre notamment dans les Gaules, comme ce bel échantillonnage ci-dessous, exposé au Musée des Antiques Saint-Raymond de Toulouse:
Evolution des formes d'amphores vinaires entre -200 et -50. De gauche à droite, d'abord la « Gréco-italique LW-E », assez trapue, aux formes assez douces et munie d'une lèvre triangulaire. Ce type se fabrique vers 200 à 150 avant notre ère. Il évolue ensuite, c'est le deuxième exemplaire depuis la gauche, vers une forme plus élancée, la "Dressel 1a" à épaule arrondie et comportant toujours la lèvre triangulaire. Ce type apparaît vers -135. L'évolution est ensuite plus rapide, les épaules deviennent très angulaires et marquées, et une large lèvre en bandeau apparaît. C'est la "Dressel 1b" qui fut exportée par millions dans les Gaules durant tout Ier siècle avant notre ère. Ensuite, les deux derniers exemplaires, un peu plus précoces et un peu moins répandus (-125 à -75), sont des Dressel 1c aux anses convexes et légèrement moins élancées que la précédente. Une sorte de moyen terme entre la 1a et la 1b.
La forme de ces récipients de transport, on le remarque, évolue continuellement avec le temps. Comment en interpréter les raisons?
Il ne s'agit assurément pas principalement de questions esthétiques, même si encore aujourd'hui le vin nous paraît meilleur si la bouteille ou son étiquette sont plaisants. A mon sens, bien qu'il semble qu'aucune étude approfondie n'ait été menée dans ce sens, il faut y voir une adaptation à l'évolution des coques de bateaux de transport maritime. L'exportation du vin, principalement vers les Gaules, prendra des proportions gigantesques au cours du temps pour atteindre son apogée vers le milieu du Ier siècle avant notre ère, aux temps de la Guerre des Gaules. des navires de plus en plus gros pourront transporter des milliers de pièces. L'épave de la Madrague de Gien, par exemple, en contenait un peu plus de 6000! Une charge de 350 tonnes pour un navire de 40 mètres de long, 9 de large et un tirant d'eau d'environ 4m. 50. Le calage du chargement sur trois couches était essentiel pour éviter la casse. Qu'une seule amphore se brise et tout un secteur de la charge était déstabilisé et on risquait le pire!. Adapter la formes de ces amphores à la forme de la carène du navire permettait d'augmenter le sécurité du transport.
Mais revenons à l'objectif du jour: Fabriquer deux pièces "LW-E" Cette codification, assez typiques des petits barbarismes céramologiques provient de la chercheuse, Elisabeth Lyding-Will, une autorité en terme d'études "amphoristiques" et qui fut la première à établir une typologie et proposer des datations pour ce type d'amphores. On abrége, et les gréco-italiques se subdivisèrent désormais en LW-A, B. C. D et E...
Et dans la pratique, ce sont des hybrides entre LW-D et E dont nous allons suivre la fabrication.

Leur forme peut assez considérablement varier d'une fabrication à l'autre, comme le montrent des deux exemplaires issus de fouilles de Lattes. Col plus ou moins long, plus ou moins cintré, épaule plus ou moins marquée, quille proéminente ou pas, différences de galbe. Il ne s'agit plus là de questions de carènes de navires, mais plutôt de la "main du potier". ou d'un "style de fabrique", les formes variant d'un atelier à l'autre, d'un tourneur à l'autre.
A mon sens, ces gréco-italiques comptent parmi les plus belles des amphores par leur élégance et la douceur de leurs lignes. Mais ces caractéristiques les rendent difficiles à réaliser. Raccorder leurs courbes est un bel exercice de style qui n'est pas à la portée du premier venu. (ou de la première venue, bien qu'il faille être équipé d'épaules assez solides pour tourner les sections basses de ces pièces).








Première étape, le tournage des sections. Ce sont des pièces "assez courtes". 90 à 95 cm. et leur col ne dépasse pas les 30 cm, ce qui permet de les monter en trois parties. Plus simple donc que les Dressel 1 plus tardives, plus hautes (110 à 155 cm) qui nécessitent 4 sections. On pourra se reporter à l'article "amphores" pour les détails: http://arscretariae-archeoceramique.blogspot.ch/p/amphores.html


En premier la "quille", partie basse, qui se tourne à l'envers:
Sur un tour italien à pied, cela nécessite quelques contorsions, cette section étant assez haute, à peu près 45 cm. On tourne un cylindre que l'on rétrécit jusqu'à le fermer complétement pour former la quille.
On veille soigneusement à conserve un angle correct à la base de cette section qui, une fois retournée, devra se raccorder sur la panse. Le diamètre est soigneusement mesuré.


Puis on tourne la panse.
Elle se tourne à l'endroit, partant du diamètre de la base de a quille renversée. le haut amorce l'épaule de l'amphore. Un gros morceau à tourner. 9 kg. de terre, cela demande une certaine énergie.
Comme la quille, cette section reste sur son rondeau.


Et on passe au col. presque facile, seulement 4,5 kg de terre.
Là aussi, on veille à raccorder les inclinaisons et les diamètres. Le tournage se fait à l'envers, l'ébauche restant aussi sur son rondeau.
Les trois éléments sont prêts. La quille, environ 40 cm. de hauteur, la panse, 30 cm. et le col, environ 35. Soit 1m. 05 pour le tout. Avec les pertes au greffage, puis le retrait au séchage, cela nous laissera une pièce d'un peu plus de 90 cm. une fois cuite. A droite, une pièce terminée, toujours dans son mandrin, en cours de séchage.


Une nuit de séchage pour raffermir les élément et on peut passer au montage:
Je reprends le travail sur un tour à main. le tour italien n'est pas adapté à ce type de montage, et en plus je n'ai pas la hauteur de plafond suffisante pour ce travail. Donc on reprend sur le bon vieux tour à bâton, qui devient tour à main pour l'occasion...
On place la quille dans un mandrin de maintien, et on la sépare de son rondeau. Puis on pose le premier greffon. Il aura fallu préalablement le séparer aussi de son rondeau. Comme il est encore très mou, j'ai collé une plaque de bois sur sa partie supérieure pour éviter les déformations trop importantes, et je l'ôte sitôt après la pose. Les angles au niveau du greffage sont légèrement rentrants. C'est voulu, car beaucoup plus facile à corriger lors du tournage du raccord. Le contraire nécessiterait un gros travail de frappe pour diminuer les diamètres.
Le raccord de greffe en cours de tournage. Il reste une petite inégalité à corriger.
Lorsque le raccord est terminé. on prépare la greffe du col. la pose de la panse peut avoir provoqué quelques déformations, vite corrigées par une passe de tournage.
Il vaut mieux assurer le coup, et présenter délicatement le col, au cas où une retouche ou une correction d'angle serait nécessaire.
On peut ensuite passer au tournage du second raccord de greffe.
Puis on finit la lèvre. comme le col était tourné à l'envers, cette partie proche du rondeau est encore très molle et l'opération est ainsi facilitée.
Il vaut mieux attendre quelques heures avant de poser les anses. le raccord de l'épaule est encore très fragile à la fin du montage. Poser les anses immédiatement fait courir le risque d'enfoncements toujours difficiles à rattraper.
Opération terminée! On laisse raffermir un jour ou deux dans le mandrin, puis on pourra la transporter jusqu'à son lieu de séchage complet...
En l'occurrence la pièce à vivre. L'atelier est bien trop petit pour une telle population. Ces élégantes vont rejoindre le reste de la prochaine fournée, des Dressel 1B. Cinq quadrantales de 26 litres et une bâtarde de 19.
Elles auront tout le temps. A court de bois sec pour le four à amphores, elles devront patienter un bon mois encore.
Vous aussi, d'ailleurs, si vous souhaitez lire le récit de leur cuisson...

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