lundi 26 mai 2014

Un askos daunien à décor de bandeaux



Les cultures de l’Italie d’avant les Romains sont d’une richesse insoupçonnée. Ces curieux récipients au nom imprononçable et d’origine paraissant tout à fait improbable en sont une expression parmi des milliers d’autres. Brièvement, voyons de quoi il en ressort:
Un askos est une cruche asymétrique de tradition grecque, à une ou deux embouchures latérales.  C’est une forme très ancienne quoique peu connue, dont l’origine remonte aux âges du bronze, et qui a évolué avec le temps. A l’origine l’askos peut avoir soit une forme animale, ou encore évoquer la forme d’une outre. Sous cette forme sphérique ou ovoïde à embouchure latérale, elle disparaîtra avec l’arrivée de la culture latine.

Précisons encore que le terme « askos » (outre) est moderne. On ne connaît pas le nom donné dans les langues anciennes à ce type de récipient.
L'askos qui a servi de modèle. Collection F. E., Genève. Photo issue de:
L'Art des peuples italiques : 3000 à 300 avant J.-C. Ed. Musée d'Art et d'Histoire de Genève - Société Hellas et Roma
Et les Dauniens ? Qui sont-ils ? Peu connus, c’est un peuple d’Italie méridionale dont le territoire est à situer dans les Pouilles actuelles, dans la région de Foggia. Leur histoire est mal connue et se confond parfois avec celle de leurs voisins Samnites souvent en conflit avec Rome. On sait qu’ils apparaissent vers le VIIIème siècle avant notre ère et bien qu’intégrés à la Grande Grèce et assurant des contacts avec les populations voisines, conserveront une riche culture particulière indépendante.

Les askoi ici illustrés en sont un des reflets, et tant les formes que les décors sont tout à fait typiques de l’expression artistique daunienne. Il s’agit là de pièces témoignant du troisième style subgéométrique. Les pièces plus anciennes, elles aussi décorées de bandeaux peints, portent moins de détails, les premières étant simplement décorées de bandes colorés, sans cette multitude de petits motifs et détails qui font le charme de ces pièces de troisième style. 
Une pièce de l'ancienne collection Heinz Weisz, Genève. Très proche de la précédente par son exécution, certains détails laissent à penser que si elle est issue du même atelier, elle a probablement été réalisée par le même peintre. (Exposition "L'art premier des Iapyges, Musée d'Art et d'Histoire Genève, 2002)
La production de ces cruches est à situer entre 350 et 300 avant notre ère, notamment à Canosa, une ville importante où un atelier a été identifié. A ce moment, cette ville, comme toutes les Pouilles et l'essentiel de l'Italie méridionale sont  donc encore partie prenante de la Grande Grèce. Les Romains conquirent la région au cours de la guerre contre les Samnites et contre Pyrrhus entre les IVème et IIIème siècles av. J.-C. La conquête par les Romains de toutes les villes de Pouilles se termina en 260 av. J.-C.  Le rouleau compresseur de la culture latine et romaine entraîna rapidement le déclin, puis la disparition par absorption de la culture daunienne.
Un autre exemplaire à nouveau de style très proche.
Metropolitan Museum of Art in New York City, New York. Photo © Mary Harrsch
Ce dernier exemplaire du British Museum porte un décor plus simple, mais est aussi de plus petite taille.  Photo www.britishmuseum.org, droits limités.
Précisons-le d'emblée, réaliser de telles pièces n'est pas simple. Elles sont entièrement modelées, mais hors de question de travailler aux colombins. Bien que cela soit techniquement possible, cela prend énormément de temps, et le fond rond de ces pièces rend l'opération plus que périlleuse. Il est plus pratique de mouler deux coques hémisphériques, de les coller ensemble et de découper après coup l'ouverture du col. Suffisamment grande, on pourra y passer la main pour parfaire le joint d'assemblage, puis on pourra monter le col et l'anse. Un gros travail de battage est nécessaire pour corriger les imperfections et parfaire les formes. L'argile utilisée est une terre très claire chamottée. Un polissage aux galets est donc nécessaire. 
Ensuite, le corps est entièrement engobé rose pâle, puis le décor est peint. la couleur est obtenue par une argile enrichie au manganèse, le "braunstein" connu depuis la préhistoire et donnant des tons bruns-violacés.  

 

Mieux vaut être assez zen avant d'entreprendre un tel décor. Une tache ne pardonne pas sur un engobe clair. On peut toujours la recouvrir d'un petit motif supplémentaire si elle n'est pas trop importante...
Dernier détail: quasi impossible de travailler au pinceau... la réserve de barbotine n'est pas assez importante et on doit faire des raccords tous les deux centimètres. Et il y a près de dix mètres de filets... Impossible aussi de travailler à la pipette, le mélange est trop liquide. Il a fallu trouver une autre méthode...
Je vous raconterai tout ça un jour...

mardi 15 avril 2014

Fabriquer une amphore gréco-italique.

Avant d'attaquer les chapitres techniques, il convient de faire une petite présentation. Qu'est-ce qu'une amphore gréco-italique?
Son nom dit clairement son origine: Grèce, et surtout Italie, notamment la Côte tyrrhénienne. Mais aussi la Sicile, et peut-être d'autres régions encore. Les débuts de sa production sont à situer vers 350 av. J.-C. à une époque ou l'essentiel de l'Italie méridionale était encore la Grande Grèce. ce n'est que vers 280 à 270 que le la plupart des cités grecques d'Italie méridionale rentreront dans l'alliance romaine.
Les dernières cités indépendantes ne tarderont pas à suivre le mouvement, de gré ou de force. Tarente tombe en -272 lors de la guerre de Pyrrhus, puis avec Syracuse prend parti pour Carthage lors de la seconde guerre punique. Ces deux villes tombent en -211 après un siège de trois ans. C'en est fini de la Grande Grèce, l'Italie est désormais romaine...
D'où donc cette appellation de "gréco-italique" pour ces types d' amphores. Eh, oui ces types, parce qu'il y en a plusieurs... 250 ans de production, c'est long, et tous les types de céramiques évoluent. Les modes changent, les techniques aussi.
L'amphore gréco-italique est dérivée d'une forme étrusque très trapue, dont les premiers exemplaire produits vers 350 av. J.-C vont s'inspirer. Elle s'effile au cours des années pour aboutir à une forme beaucoup plus élancée.
il s'agit en fait d'une évolution continue qui aboutit aux amphores tardo-républicaines de type "Dressel 1" que l'on trouve en grand nombre notamment dans les Gaules, comme ce bel échantillonnage ci-dessous, exposé au Musée des Antiques Saint-Raymond de Toulouse:
Evolution des formes d'amphores vinaires entre -200 et -50. De gauche à droite, d'abord la « Gréco-italique LW-E », assez trapue, aux formes assez douces et munie d'une lèvre triangulaire. Ce type se fabrique vers 200 à 150 avant notre ère. Il évolue ensuite, c'est le deuxième exemplaire depuis la gauche, vers une forme plus élancée, la "Dressel 1a" à épaule arrondie et comportant toujours la lèvre triangulaire. Ce type apparaît vers -135. L'évolution est ensuite plus rapide, les épaules deviennent très angulaires et marquées, et une large lèvre en bandeau apparaît. C'est la "Dressel 1b" qui fut exportée par millions dans les Gaules durant tout Ier siècle avant notre ère. Ensuite, les deux derniers exemplaires, un peu plus précoces et un peu moins répandus (-125 à -75), sont des Dressel 1c aux anses convexes et légèrement moins élancées que la précédente. Une sorte de moyen terme entre la 1a et la 1b.
La forme de ces récipients de transport, on le remarque, évolue continuellement avec le temps. Comment en interpréter les raisons?
Il ne s'agit assurément pas principalement de questions esthétiques, même si encore aujourd'hui le vin nous paraît meilleur si la bouteille ou son étiquette sont plaisants. A mon sens, bien qu'il semble qu'aucune étude approfondie n'ait été menée dans ce sens, il faut y voir une adaptation à l'évolution des coques de bateaux de transport maritime. L'exportation du vin, principalement vers les Gaules, prendra des proportions gigantesques au cours du temps pour atteindre son apogée vers le milieu du Ier siècle avant notre ère, aux temps de la Guerre des Gaules. des navires de plus en plus gros pourront transporter des milliers de pièces. L'épave de la Madrague de Gien, par exemple, en contenait un peu plus de 6000! Une charge de 350 tonnes pour un navire de 40 mètres de long, 9 de large et un tirant d'eau d'environ 4m. 50. Le calage du chargement sur trois couches était essentiel pour éviter la casse. Qu'une seule amphore se brise et tout un secteur de la charge était déstabilisé et on risquait le pire!. Adapter la formes de ces amphores à la forme de la carène du navire permettait d'augmenter le sécurité du transport.
Mais revenons à l'objectif du jour: Fabriquer deux pièces "LW-E" Cette codification, assez typiques des petits barbarismes céramologiques provient de la chercheuse, Elisabeth Lyding-Will, une autorité en terme d'études "amphoristiques" et qui fut la première à établir une typologie et proposer des datations pour ce type d'amphores. On abrége, et les gréco-italiques se subdivisèrent désormais en LW-A, B. C. D et E...
Et dans la pratique, ce sont des hybrides entre LW-D et E dont nous allons suivre la fabrication.

Leur forme peut assez considérablement varier d'une fabrication à l'autre, comme le montrent des deux exemplaires issus de fouilles de Lattes. Col plus ou moins long, plus ou moins cintré, épaule plus ou moins marquée, quille proéminente ou pas, différences de galbe. Il ne s'agit plus là de questions de carènes de navires, mais plutôt de la "main du potier". ou d'un "style de fabrique", les formes variant d'un atelier à l'autre, d'un tourneur à l'autre.
A mon sens, ces gréco-italiques comptent parmi les plus belles des amphores par leur élégance et la douceur de leurs lignes. Mais ces caractéristiques les rendent difficiles à réaliser. Raccorder leurs courbes est un bel exercice de style qui n'est pas à la portée du premier venu. (ou de la première venue, bien qu'il faille être équipé d'épaules assez solides pour tourner les sections basses de ces pièces).








Première étape, le tournage des sections. Ce sont des pièces "assez courtes". 90 à 95 cm. et leur col ne dépasse pas les 30 cm, ce qui permet de les monter en trois parties. Plus simple donc que les Dressel 1 plus tardives, plus hautes (110 à 155 cm) qui nécessitent 4 sections. On pourra se reporter à l'article "amphores" pour les détails: http://arscretariae-archeoceramique.blogspot.ch/p/amphores.html


En premier la "quille", partie basse, qui se tourne à l'envers:
Sur un tour italien à pied, cela nécessite quelques contorsions, cette section étant assez haute, à peu près 45 cm. On tourne un cylindre que l'on rétrécit jusqu'à le fermer complétement pour former la quille.
On veille soigneusement à conserve un angle correct à la base de cette section qui, une fois retournée, devra se raccorder sur la panse. Le diamètre est soigneusement mesuré.


Puis on tourne la panse.
Elle se tourne à l'endroit, partant du diamètre de la base de a quille renversée. le haut amorce l'épaule de l'amphore. Un gros morceau à tourner. 9 kg. de terre, cela demande une certaine énergie.
Comme la quille, cette section reste sur son rondeau.


Et on passe au col. presque facile, seulement 4,5 kg de terre.
Là aussi, on veille à raccorder les inclinaisons et les diamètres. Le tournage se fait à l'envers, l'ébauche restant aussi sur son rondeau.
Les trois éléments sont prêts. La quille, environ 40 cm. de hauteur, la panse, 30 cm. et le col, environ 35. Soit 1m. 05 pour le tout. Avec les pertes au greffage, puis le retrait au séchage, cela nous laissera une pièce d'un peu plus de 90 cm. une fois cuite. A droite, une pièce terminée, toujours dans son mandrin, en cours de séchage.


Une nuit de séchage pour raffermir les élément et on peut passer au montage:
Je reprends le travail sur un tour à main. le tour italien n'est pas adapté à ce type de montage, et en plus je n'ai pas la hauteur de plafond suffisante pour ce travail. Donc on reprend sur le bon vieux tour à bâton, qui devient tour à main pour l'occasion...
On place la quille dans un mandrin de maintien, et on la sépare de son rondeau. Puis on pose le premier greffon. Il aura fallu préalablement le séparer aussi de son rondeau. Comme il est encore très mou, j'ai collé une plaque de bois sur sa partie supérieure pour éviter les déformations trop importantes, et je l'ôte sitôt après la pose. Les angles au niveau du greffage sont légèrement rentrants. C'est voulu, car beaucoup plus facile à corriger lors du tournage du raccord. Le contraire nécessiterait un gros travail de frappe pour diminuer les diamètres.
Le raccord de greffe en cours de tournage. Il reste une petite inégalité à corriger.
Lorsque le raccord est terminé. on prépare la greffe du col. la pose de la panse peut avoir provoqué quelques déformations, vite corrigées par une passe de tournage.
Il vaut mieux assurer le coup, et présenter délicatement le col, au cas où une retouche ou une correction d'angle serait nécessaire.
On peut ensuite passer au tournage du second raccord de greffe.
Puis on finit la lèvre. comme le col était tourné à l'envers, cette partie proche du rondeau est encore très molle et l'opération est ainsi facilitée.
Il vaut mieux attendre quelques heures avant de poser les anses. le raccord de l'épaule est encore très fragile à la fin du montage. Poser les anses immédiatement fait courir le risque d'enfoncements toujours difficiles à rattraper.
Opération terminée! On laisse raffermir un jour ou deux dans le mandrin, puis on pourra la transporter jusqu'à son lieu de séchage complet...
En l'occurrence la pièce à vivre. L'atelier est bien trop petit pour une telle population. Ces élégantes vont rejoindre le reste de la prochaine fournée, des Dressel 1B. Cinq quadrantales de 26 litres et une bâtarde de 19.
Elles auront tout le temps. A court de bois sec pour le four à amphores, elles devront patienter un bon mois encore.
Vous aussi, d'ailleurs, si vous souhaitez lire le récit de leur cuisson...

mercredi 2 avril 2014

Les Fêtes du Forum à Martigny

PROCHAINEMENT A MARTIGNY (CH)
FÊTES DU FORUM
 
 samedi 17 et dimanche 18 mai 2014.

Dédiée à l'histoire romaine de Martigny, l'antique Forum Claudii Vallensium, plus connue sous son nom gaulois d'Octodurus.
Deux jours pour revivre les fastes de l'Antiquité,
Deux jours dans et autour de l'amphithéâtre. Des troupes prestigieuses et les meilleurs artisans du moment pour vivre l'Histoire en direct! 

Les fêtes du Forum à Martigny,
Un évènement à ne pas manquer!
Plus de renseignements et le programme sur le site des Fêtes du Forum : http://lesfetesduforum.ch/
La page Facebook de l'évènement : https://de-de.facebook.com/LesFetesDuForum

La boutique du potier romain.

Un petite partie de la production de l'hiver. Et aussi ce uiq peut ressembler à un stock d'un marchand gallo-romain de céramiques entre autres biens de consommation.

Une belle série de mortiers, marmites et plats à cuire. Ils feront la joie des hôtes du camp légionnaire de Vindonissa, à Brugg-Windisch. Plus connu en Suisse alémanique sous le nom de "Legionärspfad Vindonissa".
Si l'aventure vous tente, on peut y louer et loger dans un des  "contuberniae", local ainsi nommé car il permettait d'abriter la plus petite unité de légionnaires romains, le contubernium, soit 8 à 10 hommes selon les époques.
Alors, si faire la cuisine à la romaine et partager le quotidien du légionnaire vous tente:
https://www.ag.ch/de/bks/kultur/museen_schloesser/legionaerspfad/legionaerspfad.jsp


mercredi 19 février 2014

Céramiques engobées et métallescentes des Gaules romaines

Première partie: les céramiques engobées.



Dans les grands familles typologiques qui définissent la céramique antique à vernis argileux, nous avons préalablement considéré les sigillées ainsi que les céramiques à parois fines. Dérivant directement de ces dernières, nous allons parcourir maintenant deux catégories distinctes, quoique aux limites assez floues pouvant considérablement varier selon les chercheurs qui les évoquent dans leurs études. 

Pour les définir globalement : 


Les céramiques engobées sont généralement des céramiques fines pourvues d’un vernis argileux non ou partiellement grésé, parfois mat, mais plus souvent brillant, montrant parfois des reflets irisés. Cette catégorie apparaît dans le courant de la seconde moitié du 1er siècle de notre ère, succédant aux productions à parois fines engobées, puis se poursuivra durant tout le haut-empire avec une apogée durant le IIIème siècle, où sur certains sites elle pourra constituer jusqu’à 70% du vaisselier, toutes catégories confondues. Durant l’Antiquité tardive, cette production se poursuivra longtemps encore, malgré une perte progressive de qualité. Les ateliers savoyards seront probablement les derniers à la pratiquer, jusque vers la fin du Vème siècle au moins.
Céramiques fines engobées de l'atelier de Thonon. Ces pièces portent un revêtement argileux partiellement grésé, légèrement brillant avec parfois des reflets irisés. (Fin IIème siècle)

Les céramiques métallescentes sont également des céramiques engobées, mais dont le revêtement généralement bien grésé prend, par des artifices de cuisson particuliers un reflet métallique qui peut aller d’une simple irisation à un aspect franchement doré ou argenté.. Cette définition s’applique souvent à un groupe de productions à vernis sombres apparues dans le courant de la seconde moitié du IIème siècle, d’abord discrètement en Gaule du  Centre et en Bourgogne, puis massivement en Gaule de l’Est, notamment dans les régions rhénanes. Cette famille de céramiques verra son apogée entre les années 200 et 275, puis déclinera doucement durant le IVème siècle, dont elle ne verra pas les dernières années.

Céramiques métallescentes classiques du début du IIIème siècle. Leur revêtement est sombre, brillant et présente un reflet métallique. (Musée de la Cour d'Or, Metz)

Le sujet est très vaste. Le traiter en un seul article serait fastidieux, ou nécessiterait des raccourcis ou coupes dommageables. Dans cette première partie, nous traiterons donc essentiellement des céramiques engobées.

Et pour préciser enfin, les Gaules, dans leurs délimitations antiques, comprennent toutes les régions situées entre  Rhin et Pyrénées, entre Manche et Méditerranée. Si le Piémont et la Lombardie actuelle formaient la Gaule Cisalpine aux temps de la République romaine, nous n’en traiterons pas ici. Non seulement, sous l’Empire ces régions seront rattachées aux provinces italiennes et alpines, mais leurs traditions céramiques sont trop différentes pour être associée à cette évocation. 

LES CERAMIQUES ENGOBEES GALLO-ROMAINES: 
Techniquement, une céramique engobée peut se nommer de plusieurs manières : Céramiques à revêtement argileux, à vernis argileux, parfois encore céramiques luisantes, mais résultent toujours d’une même technique. D’abord tourné, un récipient est mis à sécher jusqu’à atteindre la dureté d’un cuir ou d’un carton fort. A ce stade, on va éventuellement corriger sa forme, affiner ses parois et réaliser ses moulures par enlèvement de copeaux (c’est le tournassage) puis le polir, généralement à l’aide de galets, parfois de spatules métalliques. On y apposera éventuellement un décor par estampage, à la lame vibrante ou par dépôts de barbotine, puis on laisse sécher.
Le vernis que l’on va y apposer est toujours constitué d’une argile très affinée en suspension dans de l’eau. Le type d’argile utilisé pour fabriquer ces vernis peut faire fortement varier ses caractéristiques. Un vernis peut être mat ou au contraire très brillant. Il peut être simplement cuit, ou au contraire se vitrifier partiellement sous l’effet de hautes températures.


Engobage d'une céramique fine. Une fois séchée et cuite, la couche de vernis argileux ne dépassera pas quelques millièmes de millimètres d'épaisseur.


Chaque atelier avait sa recette. Si un vernis mat est simple à préparer, un revêtement brillant peut demander des années, des décennies de recherches et de mise au point. La qualité de l’argile est alors essentielle et les potiers se sont parfois approvisionnés dans des gisements fort éloignés de leur atelier. Ce n’était pas un problème. Ces revêtements argileux sont très fins, quelques millièmes de millimètres tout a plus, et deux mules portent facilement la quantité de terre nécessaire à l’engobage de dizaines de milliers de récipients.

A Gauche, un gobelet à revêtement mat de la Vallée de l'Argonne. Début du IIème siècle de notre ère. Les revêtements de cette époque pour la région sont généralement brun mat, parfois aussi orangés.


Les premières productions sont toujours difficiles à définir, se situant aux marges d’autres catégories, telles que les sigillées et leurs imitations, ou encore la céramique à parois fines.
Comme nous l’avons vu dans un article précédent, cette production, et surtout l’ensemble des formes qui y était associée, essentiellement des bols et des gobelets,  évolue vers la fin du Ier siècle à Lyon et à Lezoux pour prendre une morphologie particulière qui annonce l’esthétique des pièces du second siècle. La production lyonnaise semble s’éteindre progressivement, tandis que celle de Lezoux prendra plutôt un peu de vigueur avec les années.
Un gobelet à revêtement sablé de Lezoux. On se situe clairement à là limite entre céramiques à parois fines et céramiques engobées. Seconde moitié du Ier siècle. ( Musée Dobrée, Nantes)
Avec cet exemplaire, également de Lezoux, très proche dans sa ligne. On s'approche un peu plus de la catégorie des céramiques fine engobées. Son revêtement clair et brillant suppose une époque de fabrication ne dépassant pas les années 50 à 70 de notre ère.


Une production massive se développera très rapidement dès le tournant du siècle dans les ateliers du Nord-est des Gaules, particulièrement à Cologne, ainsi que dans les provinces bordant le Rhin, Alsace y compris. Un peu plus tard, vers les années 150 à 170, de nombreux ateliers démarreront de telles productions en Gaule du Centre, mais aussi sur le Plateau helvète et en Savoie, toutefois sans rivaliser avec les quantités produites dans les régions rhénanes ou de la Vallée de l’Argonne. Simultanément, la Bourgogne verra aussi se développer cette spécialité dans plusieurs ateliers importants tels que Gueugnon, Domecy-sur-Cure ou Jaulges-Villiers-Vineux. Lezoux continuera également à produire des céramiques fines engobées ou métallescentes, bien que l’accent principal de ce groupe d’ateliers restera focalisé sur la sigillée.
Gobelet de Cologne à "Décor de chasse". Le revêtement est sombre, plutôt mat.


Petit florilège de gobelets argonnais exposés au Musée de la Cour d'Or à Metz. Cet ensemble illustre bien la grande variété de coloris que les potiers gallo-romains parvenaient à obtenir. Toutefois, les ateliers de l'Est avaient tendance à systématiquement privilégier les revêtements sombres, spécialement pour la vaisselle à boire. Morphologiquement, et par la qualité de leurs vernis, les trois pièces sombres sont classées parmi la céramique métallescente.
Un groupe de gobelets engobés issu des ateliers de Bourgheim (Alsace, Bas-Rhin), probablement fin IIème siècle. (Musée Unterlinden à Colmar, exposition temporaire: "Florilège de céramiques gallo-romaines", 2009)
Il semble bien que ce soient les ateliers de Gaule Centrale, notamment du groupe de Lezoux, qui développèrent le processus jusqu’à atteindre un point de grésage des revêtements suffisant pour les pourvoir d’un lustre métallique. Ce furent apparemment les premiers à rechercher systématiquement les argiles calcaires pour tourner le corps de leurs vases. Ces terres ont pour faculté essentielle de favoriser l’accroche et surtout la vitrification partielle de l’engobe, phénomène essentiel pour l’obtention de revêtements brillants ou métallescents.

Gobelet métallescent de Lezoux, avec à gauche à l'arrière-plan une sigillée moulée à revêtement également métallescent. 

Les sigillée noires et métallescentes pourraient avoir constitué une étape importante dans l’élaboration des revêtements argileux grésés. Bien que le phénomène de cette vitrification partielle des revêtements ait été connu depuis longtemps avec les fabrications des sigillées de Gaule du Sud (La Graufesenque et ses ateliers associés notamment), on ne sait pas exactement pourquoi les ateliers de Lezoux fabriquaient jusque vers les années 110 à 120 uniquement une sorte d’imitation au revêtement non grésé, relativement mat. Peut-être un mauvais choix d'argiles siliceuses. Or, vers l’an 110, près d’une centaine de potiers de Lezoux déménagèrent à Gueugnon, et commencèrent a y fabriquer de la « vraie » sigillée. A peu près en même temps, quelques ateliers qui étaient restés sur place, notamment celui de Libertus, commencèrent à fabriquer de la sigillée…noire ! Etait-ce pour contourner un interdit contractuel ? On ne sait pas. Mais sans contrat avec les grands distributeurs, pas de survie possible, la sigillée n’étant rentable que fabriquée en grandes quantités. L’expérience de Libertus et ses associés de dura guère qu’une dizaine d’années, puis la plupart des fabricants qui avaient émigré à Gueugnon revinrent à Lezoux et commencèrent à y fabriquer de la « vraie » sigillée au revêtement bien rouge et bien grésé, sur pâte calcaire.
 Il n'est pas très facile de dater cette expansion de la mode de la céramique fine à revêtement argileux métallescent. On la situe en général vers les années 160-175, soit plusieurs dizaines d'années après l'apparition de la technique à Lezoux. Car il s'agit bien d'une technique, alliant un choix de composants argileux bien spécifiques à une ou plusieurs techniques de cuisson bien particulières. Cette mode ne toucha essentiellement que les Gaules du Nord, du Centre et de l'Est, régions dans lesquelles la vaisselle à boire sombre connaissait déjà un grand succès. Par contre, la moitié sud ne fut que très marginalement touchée.  La vaisselle sombre y est pratiquement inconnue, et hors les répertoires de la sigillée et de ses imitations proches, la vaisselle fine engobée resta peu abondante, et presque toujours de couleur rouge.
Gobelets à revêtement argileux du Musée d'Arles. (IIème-IIIème siècle) Les vases à boire rouges gardèrent toujours la faveur des consommateursdans les Gaules du Sud.




Un gobelet à revêtement argileux d'Avenches.
 
Il en est de même pour le plateau helvète. A la frontière des zones d'influence, on y trouve des céramiques engobées aussi bien sombres que claires. Et plus on se dirige vers l'Est, plus on approche des zones culturellement rattachées à l'aire germanique, et plus la proportion de vaisselle sombre est importante. La Suisse romande, bien que rattachée à la province de Germanie supérieure, semble conserver une certaine attache culturelle avec l'aire rhodanienne.Ainsi donc la production de vaisselle engobée claire y resta nettement dominante. De plus, les production sombres n'y furent que relativement rarement importées, malgré un courant économique plutôt favorable que l'on remarque par la présence assez fréquente de sigillées de Gaule de l'Est, notamment des officines de Rheinzabern. Il en est de même en ce qui concerne les importations de Gaule du Centre. La sigillée de Lezoux est omniprésente dans tous les sites ruraux et urbains, alors que les récipients engobés ou métallescents issus de ces régions sont extrêmement rares. Pour les potiers helvètes de Suisse occidentale, il n'aurait pas été très difficile de donner une teinte plus sombre à leur vaisselle à boire, mais apparemment les goûts locaux ne s'y prêtaient tout simplement généralement pas.
Une production typique des ateliers d'Aventicum: Les gobelets à décor figuré à la barbotine. Ce magnifique témoin montre la parfaite maîtrise de la technique décorative des potiers helvètes de la fin du deuxième ou du début du troisième siècle. Sur cette pièce, l'engobe brun-rouge est partiellement grèsé, brillant et légèrement irisé. (Fouilles universitaires du Parc Piguet, Yverdon-les-Bains, non publié.)
 
Si donc exceptionnellement les ateliers d'Avenches ont fabriqué des récipients engobés noirs, ce fait semble déjà plus fréquent à Berne, où les gobelets gris, brun-gris ou noirs sont nettement plus fréquents, et où une partie de répertoire est directement inspirée des productions rhénanes. Très peu étudiée à ce jour, cette production est typique des régions sur lesquelles plusieurs influences culturelles et stylistiques se chevauchent.





A gauche, un gobelet issu des ateliers de Bern-Engehalbinsel. On distingue encore les reflets irisés dont était pourvu le revêtement.





Un autre cas étonnant de chevauchement de styles est illustré par les productions des officines de Thonon, en Haute-Savoie. La dominante culturelle dans cette région de production devrait induire une gamme de produits à dominante claire, rouges ou brun-rouges. Mais cela n'a pas étonnamment pas été le cas et la part à tonalité sombre de ce vaisselier est assez importante. Cela nous laisse quelque peu songeurs quant à la clientèle à qui pouvaient être destinée cette vaisselle. Malheureusement on ne connaît pratiquement pas la zone dans laquelle cette vaisselle était diffusée. Quelques exemplaires clairs sont parvenus à Lausanne, et un ou deux  gobelets sombres sont attestés au Valais.

Gobelets de Thonon issus des fosses dépotoirs de l'atelier. Cette officine oscilla en permanence entre productions claires et sombres. A la frontière entre Narbonnaise et Germanies, cherchait-elle à satisfaire deux clientèles aux goûts différents? Si la qualité des revêtements classe clairement les gobelets ci-dessus dans le répertoire des céramiques fines engobées, leur morphologie les situe plutôt dans le répertoire des métallescentes. D'où toutes les difficultés de classement qui peuvent s'en suivre. Excellent sujet de palabres pour les céramologues...
Uniquement des gobelets?
Si les débuts de la production de céramiques engobées concernèrent essentiellement les vases à boire, progressivement d'autres formes seront concernées, d'abord uniquement la vaisselle de service, puis aussi quelques types de vaisselle utilitaire telle que les mortiers entre autres.
Berner Historisches Museum (réserves)
L'exemplaire illustré ci-contre en est un bel exemple. Ce genre de céramique est très fréquent dans les niveaux du IIIème siècle de notre ère sur le plateau helvète. D'assez nombreux exemplaires sont conservés dans les réserves du Berner Historisches Museum, et sont très probablement issus des ateliers locaux. On connaît également une telle production à Avenches et à Augst. Il s'agit là  toutefois d'une particularité régionale propre non seulement aux Helvètes, mais aussi à la province de Rhétie (Est suisse et Ouest Autriche): On les nomme d'ailleurs "Mortiers rhétiques" en référence à leur distribution géographique, mais aussi à laur forme et le présence d'un engobe. Plus tard, au Vème siècle, cet engobe sera parfois remplacé par une glaçure plombifère.

Ce bol issu des ateliers de Berne est un autre bel exemple de vaisselle de service engobé: La panse de ces bols est généralement décorée, et toute la palette des techniques de l'époque peut s'y exprimer, comme sur les gobelets.
Bols bernois issus des dépôts de ratés de cuisson de l'atelier local. Les décors par guillochage, estampage ou dépôt de barbotine sont omniprésents sur ces récipients comme sur les gobelets. (BHM Berner Historisches Museum, réserves)
Les coloris brun-rouge à brun orangés semblent avoir été systématiquement recherchés sur ces bols. Les exemplaires sombres sont rarissimes. Peut-être a-t-on voulu imiter l'aspect des sigillées, encore en circulation au moment de ces fabrications. Les ateliers de Bern-Engehalbinsel ont apparemment été actifs jusque vers les années 275-280 de notre ère. Les bols illustrés sont typiques du IIIème siècle. Ce vaisselier est stylistiquement très proche des productions d'Aventicum,  la capitale des Helvètes, qui n'est distante que de 35 km. La similitude des formes, des styles de décor les rend vraiment difficiles à différencier. Un troisième atelier, ou groupe d'ateliers à simultanément fonctionné à Studen, l'antique Petinesca, située 25 km plus au Nord. Le développement d'un tel style régional n'a rien d'exceptionnel, et c'est même une des spécificités de cette céramique gallo-romaine engobée, et de nombreuses régions des Gaules ont fait de même. Les potiers des IIème et IIIème siècle ont ainsi pu quelque peu se libérer du carcan imposé par la normalisation des formes et décors des sigillées, créer des styles propres à leur région et donner libre cours à leur créativité. Toutefois  dans bien des cas ont ressent toujours la ressemblance avec les sigillées toujours assez en vogue à cette époque. Boire et manger "à la romaine" était très important dans ces sociétés encore parfois pétries de culture celtique finissante, mais aussi métissées d'apports germaniques récents. Le repas du soir, la cena, était pratiquée dans tout le monde romain, c'était un acte social essentiel que nul ne pouvait ignorer, quels que soient ses appartenances sociales ou ses moyens. On y rencontrait sa famille, ses amis, mais aussi et surtout sa clientèle et ses patrons. La société romaine était faite de réseaux, de multiple entrelacs horizontaux et verticaux. Le repas du soir en était le ciment.
Exhiber une telle vaisselle lors de la cena était un élément parmi d'autres signant l'appartenance à un groupe social bien défini. Une mode, un style décoratif n'était pas un fin, mais un moyen de se placer dans un groupe.
C'est en cela que ces céramiques engobées régionales sont intéressantes pour la recherche. Elles nous permettent de tenter de délimiter groupes ou strates sociales, mais aussi les aires d'influences culturelles. Mais c'est aussi un champ immense de découvertes et d'émerveillement sur une esthétique qui ne nous parvient généralement plus que par petits fragments. De petits éclats de voix dispersés dans la terre, qui nous racontent notre passé...