mercredi 5 septembre 2012

Une cuisson réductrice à Nasium

C'étaient les 30 juin et 1er juillet derniers à Nasium, lors de la fête romaine "Les éléphants d'Hannibal", organisée par l'association "Nasium, la cité des Leuques". Pas seulement pour l'occasion, mais aussi en vue de la construction des futurs village et camp militaire de l'association, nous avions construit un four de potier gallo-romain, et lors de cette fête il fut dûment inauguré.

L'aventure débute au début du mois de juin, à la maison de l'association, à St.-Amand-sur-Ornain, dans la Meuse, commune située à l'orée de la ville antique de Nasium, capitale de la Cité des Leuques. C'est bien joli, de construire un four et de le mettre en service lors de la fête, mais encore faut-il avoir quelque chose à y mettre en cuisson! Un gros travail de recherche a été effectué en amont pour retrouver des types de céramiques correspondant à la fin du Ier siècle dans la région, et le 6 juin au matin, le tournage commence. Il s'agit là d'une reconstitution intégrale, les céramiques seront toutes tournées, retouchées et si nécessaire polies sur le tour à bâton. Ce type de travail est probablement plus difficile que sur un tour moderne, et même sur un tour à pied, mais peut engendrer de petits défauts de fabrication ou de finition qui permettent mieux de comprendre la manière dont ont été fabriqués les récipients à l'époque que nous tentons de reconstituer.
Retouche d'un col au galet afin de gommer les irrégularités et bavures issues du tournage. ( Photo Pierre Légeay)
Polissage au galet avant le décor ( Photo Pierre Légeay)

Après ébauche et temps de séchage obligatoire d'une journée, les pièces sont polies au galet ou simplement lissées au doigt ou à l'éponge. Certaines d'entre-elles porteront un décor réalisé à la roulette.
Décor à la roulette sur un tonnelet alsacien ( Photo Pierre Légeay)
Cette technique semble toute simple, mais demande un bon doigté et une concentration parfaite. Il faut doser la pression et bien conduire l'outil afin d'éviter enfoncements, chevauchements de lignes et erreurs de raccords, tout en surveillant la vitesse de rotation du tour. Vous vous souvenez lorsque la première fois vous êtes montés sur un vélo? Eh bien c'est à peu près le même problème que lorsque vous avez essayé de rouler bien droit...
Les pièces sont ensuite mises à sécher pour 2 semaines. une bonne quarantaine au total, qui formeront la base de la vaisselle de l'association et du futur village.

Et le 30 juin, dans le four tout nouvellement construit , le chargement débute dans la matinée, lors de l'arrivée des premiers spectateurs et des premières animations. le prochain article sera plus particulièrement consacré à la fête romaine.
Avec mille précautions, les pièces sont amenées du local vers le four et y seront chargées, puis recouvertes de tessons qui assureront la retenue de chaleur nécessaire. le couvercle de la casserole, en quelque sorte.
Le four sous son abri construit pour l'occasion. C'est un four-puits à tirage vertical muni d'une sole perforée, comme l'immense majorité des fours d'époque gallo-romaine.
La cuisson doit durer de 8 à 10 heures. Cette durée est incertaine, le four étant tout neuf. Nous l'avons séché et partiellement cuit le soir précédent, mais le fonctionnement d'une installation neuve étant toujours un peu incertain, la durée de l'opération peut considérablement varier. Il a été prévu de terminer de nuit afin de bien assurer la température de cuisson par l'observation des couleurs d'incandescence.
Les surprises sont parfois bonnes. En milieu d'après-midi déjà, on distingue le rougeoiement entre les tessons, preuve que la température monte très rapidement.
Et dès 19 heures, les gaz de combustion se réenflamment dès leur sortie. Les céramiques seront bientôt cuites à point. Bien avant la nuit, d'ailleurs. Ce four révèle un exceptionnel tirage et une grande puissance.
Dernier rayon de soleil sur les tessons de couverture. la coulewur d'incandescence paraît parfaite, il est temps de mettre un terme à la cuisson.
Un peu avant vingt heures, un bonne couche de cendres est déposée sur les tessons, puis le tout est colmaté au torchis. Le foyer est obturé et parfaitement étanché afin d'éviter toute intrusion d'air atmosphérique. Puis on laisse macérer jusqu'au lendemain après-midi. Le monoxyde de carbone, puis les fumées asureront, si tout se passe bien, la réduction puis l'enfumage des céramiques. Une fois le four scellé, nous n'avons plus aucune prise sur le processus...
Le lendemain, on perce d'abord des évents sans la croûte de torchis pour laisser passer un peu d'air et accélérer le refroidissement. Puis vers 17 heures, c'est l'ouverture.

Sitôt la couverture ôtée, on s'aperçoit que la cuisson est réussie. les pièces ont parfaitement pris la réduction et l'enfumage est correct. Tout paraît uniformément gris par le saupoudrage de cendres, mais une fos lavées les pièces arboreront des coloris très divers, plusieurs argiles ayant té utilisées pour réaliser ce lot.
La première couche d'assiette prélevée, on trouve de grandes jattes restés grises par leur argile particulière, tandis que d'autres pièces sont d'un noir bleuté.

Deux pots à cuire. Au premier plan, une pièce en argile grossière à gros dégraissant. Cette argile a la particularité de très mal prendre la réduction, et souvent ses coloris varient du brun-roux au noir, avec un coeur de tesson toujours brun-rouge.. Au second plan une pièce constituée d'uen terre très différente, qui prend beaucoup plus facilement la réduction. à la cassure son tesson est gris à coeur.
Assiettes alsaciennes en "Terra nigra". Ce terme latin, "terre noire" en français, illustre parfaitement le produit. Une argiel polie, noircie en surface par enfumage. Ces céramiques sont extrêmement courantes dans tout l'Est de la France. le coeur de tesson peut être gris plus ou moins clair, parfois blanc, mais aussi brunâtre selon les argiles utilisés. Pour réaliser ce type de produit, on sélectionne toujours des argiles prenant bien l'enfumage. Un bon polissage accentue encore la profondeur et l'intensité des noirs.
Réaliser un enfumage uniforme est une opération difficile, et les variations de teintes sont fréquentes. la cloche à pain ici illustré en est un bel exemple. Les flux de gaz irréguliers à l'endroit où elle était située ont laissé une forte empreinte sur cette pièce. es endroits sont presque blancs alors que d'autres portent de forts reflets métalliques


Le lot de pièces défournées en présence de Marion Legagneux, tout fraîchement diplômée archéologue, et future spécialiste en céramologie, ainsi que d'Olga, doctorante russe en archéologie aussi. Presque pas de casse, seulement trois pièces ébréchées par la chute de cales ou par des chocs lors de la cuisson.

Tout prochainement, un reportage sur cette fête romaine et un aperçu sur la construction du four!




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