mardi 15 novembre 2011

Construction d'un four du haut-moyen-âge

Dans le cadre d'un colloque qui s’est tenu à Douai en octobre 2010 sur le thème des ateliers de potiers du haut-Moyen Age, j’ai été amené à faire une communication sur deux cuissons expérimentales de céramiques mérovingiennes et carolingiennes dans un four correspondant à ceux utilisés par les potiers en ces temps que certains nomment parfois "Dark Ages", les temps obscurs, qui ne l'étaient pas autant qu'on peut se l'imaginer. Mais la nostalgie de la rigueur romaine s'accommode parfois difficilement des turbulences relatives à la formation de l'Europe moderne...
Mais revenons-en aux fours du haut-Moyen Age. En fait ils n'étaient guère différents de la plupart des fours gallo-romains sur le principe. Leur construction en était quelque peu simplifiée, et de fait largement suffisante pour la cuisson de céramiques communes, plutôt peu sophistiquées si on les compare aux productions gallo-romaines, mais largement suffisantes pour produire une vaisselle pouvant satisfaire aux modes culinaires de l'époque, pour l'essentiel redevenues assez proches de celles qui prévalaient aux temps des Gaulois. Soupes, potées, pot-au feu et autres aliment bouillis semblent avoir constitué l'essentiel de l'alimentation haut-médiévale, largement inspirée des modes germaniques. Les mets les plus raffinés et les épices orientales devenues rares étaient réservées aux élites qui se servaient de vaisselle métallique ou en verre, le commun des mortels s'alimentant exclusivement de produits locaux ou régionaux en utilisant des récipients de terre cuite ou de bois. On en était revenu à la civilisation du beurre et de la bière, du moins en ce qui concerne l'Europe continentale. Le pourtour méditerranéen conserva toutefois la mode de l'huile et du vin, avec un vaisselier en conséquence.
Mais revenons-en aux fours. Comme à l'époque romaine, le four à tirage vertical prévaudra largement, mais sa construction en sera parfois simplifiée. A l'origine, ces installations étaient munies d'une sole fixe, cette dalle munie de trous pour laisser le passage aux gaz de combustion et donc à la chaleur nécessaire à la cuisson des céramiques comme on peut le voir ci-dessous. Cette sole est toujours fragile et les effondrements sont fréquents, endommageant parfois gravement la charge à cuire. 

 
En remplaçant cette sole par une série de vases "martyrs" formant des pilettes ou supports sur lesquelles on dispose les céramiques à cuire, on s'évite bien des travaux de maintenance, et on réalise une économie substantielle de temps et de matériaux lors de la première construction. Que quelques pilettes se déforment ou se cassent, en quelques minutes elles seront échangées ou troquées contre des ratés de cuissons des fournées précédentes. Le four ne sera pas immobilisé durant des jours ou des semaines lors du séchage de la sole. 

 Et en ce qui concerne la couverture, la coupole fixe, déjà relativement rare chez les gallo-romains, semble avoir été complètement abandonnée au profit des couvertures de tessons, beaucoup plus simples, mais qui rendent plus difficile le réglage de l'atmosphère de cuisson. Ce n'était pas un gros problème. La fabrication des céramiques à revêtement argileux avait été abandonnée au Vème siècle, et on ne pratiquait plus que deux types de cuissons, l'une oxydante pour les pièces claires, l'autre réductrice pour les pièces sombres.











 
 




Une autre variante intéressante et fréquemment pratiquée était le four à languette centrale et banquettes latérales. De gros vases coincés entre ces élévations, ou encore des "cigares" de terre supportaient l'entier de la charge à cuire. Intéressante, mais dangereuse pour les vases-supports, j'y ai préféré la première variante. Que les parois du four soient légèrement rentrantes ne change guère son fonctionnement, mais nécessite un solide parement interne, ce qui n'est pas nécessairement le cas lors de creusement d'un four à parois cylindriques.
J'ai donc choisi la variante la plus simple, le four à pilettes ou "vases martyrs". 


Première opération, le creusement de l'espace nécessaire doit être le plus précis possible. Plus le terrain sera compact et plus cette opération sera pénible, mais plus le four sera solide.








La partie réservée à la cuisson est légèrement surélevée pour permettre l'écoulement d'eau qui pourait s'infiltrer lors de fortes pluies. Un terrain en pente facilite évidemment ces terrassements et évite d'avoir à creuser une grosse aire de travail devant le foyer. En ce qui me concerne, c'était encore plus facile en partant d'une aire existante, celle qui sert à l'alimentation du gros four gallo-romain voisin, distant d'à peine 1 mètre!
 
 
Les parois de la chambre de cuisson sont soigneusement enduites de torchis fin, et les parois latérales du foyer, que l'on nomme alandier dans notre jargon de potiers sont revêtues de briques afin d'assurer la solidité de la voûte qui le refermera. 
Les fours de potiers mérovingiens, dont ce type est largement inspiré, ne comportaient pas toujours de foyer à voûte. Parfois un simple tunnel était percé entre le puits et l'aire de travail. 







 



Mais ici, le terrain insuffisamment stable ne permet pas ce raccourci, les effondrements auraient pu mettre en danger l'installation.

Une fois la voûte montée, le coffrage qui la maintenait est immédiatement enlevé et le remblayage commencé. Le poids de la terre empêchera cette voûte de se fissurer lors de l'éventuel retrait des torchis de colmatage lors du séchage. 

 
Le mur de soutènement avant est terminé et rehaussé par une traverse de voie de chemin de fer qui évitera les effritements ou éboulements ultérieurs.

 
Et enfin, la chambre de cuisson est rehaussée et solidifiée au moyen de blocs de pierre. Une bonne couche de torchis colmate l'ensemble et évitera à ces blocs de calcaire local de se transformer en chaux par la chaleur des cuissons.
Un ou deux jours de séchage par ces fortes chaleurs d'été et on peut procéder à la cuisson préalable du four. 


Les pilettes sont placées, et je remplis le puits de cuisson de vieux vases ratés et d'objets divers, puis le tout est couvert de tessons. 6 heures seront nécessaires pour atteindre les 800 degrés approximatifs nécessaires à la cuisson des supports et à la consolidation des parois. Que ces dernières soient partiellement constituées de terre végétale simplement recouvertes de torchis n'est pas un gros handicap pour la survie à court terme de cette installation probablement assez éphémère, un agrandissement étant prévu dès le printemps prochain. La terre végétale se cuit comme l'argile, mais devient très poreuse et reste fragile, ce qui en fait un isolant thermique peu solide mais très efficace.


A la fin de la première chauffe, la charge est devenue incandescente et le four ainsi que ses structures sont cuite. Tout est prêt pour la première fournée!
Tout prochainement viendra la deuxième partie de cet article, la cuisson oxydante de céramiques claires. Ce sera assez sportif, car le four à coupole voisin sera également allumé pour une grosse fournée de pièces gallo-romaines à revêtement argileux. Ca va chauffer, je vous le prédis!

1 commentaire:

  1. Magnifique !! Et quelle générosité de partager tous ces trésors !!! Merci infiniment Pierre Alain. Je regrette d'habiter à l'autre extrémité de la France. bonne continuation et bons feux :=)=:)
    Amicalement. Sophie

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