La réduction est une opération qui peut s’appliquer à toutes les argiles contenant de l’oxyde de fer, c'est-à-dire presque toutes de celles que l’on trouve dans la nature. Les argiles blanches font exception, précisément parce qu’elles n’en contiennent pas, d’où leur couleur blanche.
Les argiles contenant des oxydes de fer peuvent être de toutes les couleurs ou presque. Jaunes, rouges, brunes pour celles qui contiennent des oxydes ferriques de type Fe2O3, nommés usuellement hématites, ou encore du Fe3O4, appelé magnétite (parce qu’il est magnétique).
Les argiles à dominante verte à grise contiennent une dominante d’oxyde ferreux FeO. qui ne subsiste en tant que tel seulement dans les sols étanches ou très mal drainés. Exposé à l’air, il tend à se transformer lentement en Fe2O3 par « suroxydation ». Donc ces argiles tendent à brunir avec le temps, c’est ce qui donne la couleur des terres végétales que l’on voit dans les labours.
Lorsqu’on les chauffe, les argiles passent un peu par les mêmes stades qu’un minerai que l’on va transformer en métal. La dessication se produit entre 100 et 550 degrés environ, avec des phases « explosives » vers 180-220 et 500-550 degrés, stades ou la production de vapeur peut induire une réaction en chaîne et faire éclater par surpression les objets en cours de cuisson. Durant toute cette phase, et jusque vers 8 à 900 degrés, les oxydes tendent tous à se réunir sous la formule ferrique Fe2O3, principalement à cause de l’apport d’air atmosphérique dans le four. Donc, naturellement toutes les argiles contenant des oxydes de fer deviennent plus ou moins rouges, comme toutes les briques ou tuiles, anciennes ou modernes!
Ce n’est que vers les 900 degrés que peut intervenir, comme dans un bas-fourneau, le processus de réduction. Cette transformation des oxydes par perte d’un atome d’oxygène tend à les réunir tous sous la forme FeO, l’oxyde ferreux noir, ce qui est en fait la première étape de la réduction du minerai par la réaction suivante : Fe3O4 + 4CO → 3Fe + 4CO2.
Par cette formule, on voit qu’il est impératif de produire du monoxyde de carbone CO pour obtenir cette réaction. Dans un bas-fourneau, on va pousser ce processus à son terme, jusqu’à l’apparition de la loupe métallique. Dans un four de potier, la teneur en oxydes n’est pas suffisante pour obtenir la réaction totale, même par gros accident de surchauffe.
Une fois cette réaction de réduction démarrée, il faut la maintenir suffisamment longtemps, et cela peut considérablement varier selon le type et la porosité des argiles, les dimensions du four, pour obtenir un effet en profondeur, jusqu’au cœur du tesson. C’est l’expérience du potier qui définira cette durée en fonction de l’étanchéité de son four et des terres qu’il utilise. Ensuite, il faut impérativement maintenir cette atmosphère en mode réducteur ou neutre pendant tout le refroidissement (Avec du CO2), car cet état réduit est très instable. Le moindre filet d’oxygène va « brûler » l’oxyde ferreux FeO pour en refaire du Fe2o3, et les vases redeviendront rouges !
Dans la pratique, les réductions profondes sont assez rares. Ce phénomène étant très mal connu, on a systématiquement classifié les céramiques grises ou noires sous l’appellation « céramiques cuites en réduction ». Dans les faits, les températures atteintes ne permettaient souvent pas d’atteindre le stade de cette réaction. Mais pourtant elles sont grises ou noires !
Cherchez l’erreur…
En fait, bien souvent ces coloris gris, bruns-gris ou noirs sont obtenus par imprégnation de carbone, dont la couleur très sombre va simplement couvrir le rouge des oxydes, et ceci sans la moindre réduction… A noter cependant que cette imprégnation de carbone nécessite les mêmes opérations de confinement de l’atmosphère du four, sans quoi, le carbone va rapidement brûler et les céramique redeviennent à nouveau rouges. Dans la pratique, la réduction doit être activée par un flux continu de monoxyde de carbone CO durant toute a durée de l’opération, puis le four doit être scellé et pressurisé durant toute la phase de refroidissement qui peut durer deux à trois jours. Cette pressurisation n’est certes pas très importante en valeur absolue, quelques dixièmes de millibars tout au plus, mais juste suffisante pour éviter l’infiltration d’air atmosphérique qui contient le fatal oxygène. La combustion lente d’écorces peut suffire, pour autant que l’on soit assuré qu’elle dure suffisamment longtemps…
Dans les faits, on doit impérativement se rappeler que les potiers antiques n’avaient aucune idée de ces phénomènes reconnus seulement depuis Lavoisier vers les années 1780. Leur raisonnement était de type alchimique. Il s’agissait de transmettre le feu comme élément distinct d’une matière ignée (le bois) vers l’argile, pour la durcir, la transmuter en pierre. Le feu que l’on entretient peut être d’esprit clair (avec un bon tirage, donc très oxygéné) et produire une céramique claire, ou au contraire être d’esprit sombre (peu de tirage, flammes sombres et lourdes) et produire de la céramique sombre.
Dans la pratique, je cuis mes céramiques sombres le plus haut possible pour obtenir réduction ET enfumage, ce qui les rend très solides et plus durables. Ceci est valable pour la céramique commune, par exemple les pots à cuire, la terra nigra ou encore les céramiques germaniques et mérovingiennes.
La céramique à revêtement argileux, c’est une autre histoire. Cuites vers 1050 degrés, je procède à une réduction limitée dans le temps, 30 minutes à deux heures. Ceci permet la transformation partielle (tons bruns) ou totale (tons noirs) des oxydes de fer contenus dans le revêtement. Comme le tirage est coupé lors de cette opération, la température descend rapidement dans la chambre de cuisson, et le revêtement en cours de vitrification se solidifie, emprisonnant les molécules de FeO. Une fois le revêtement solidifié, partiellement ou totalement, on peut réoxyder, ce qui d’une part éclaircit le cœur du tesson, permet les effets de transparence, et est nettement moins difficile à maintenir qu’une réduction totale.
Pour les lecteurs qui auront survécu jusqu’ici, petit exemple pratique pour illustrer la réduction des vernis vitrifiés. (Qui, rappelons-le encore, sont toujours issus d’argiles naturelles)
Considérons la scène ci-dessous, un tesson grec du VIème siècle avant notre ère
Cette scène, tout à fait attendrissante, où l’on voir une dame grecque arroser un jardinet où poussent de vigoureux légumes, est issue d’une céramique attique dite « à figures rouges ».
Techniquement, son élaboration est assez futée. Après tournage et polissage du vase, les motifs, le personnage, les légumes et la frise inférieure sont peints à la cire, puis incisés à la pointe sèche pour figurer les drapés. On laisse sécher, puis on plonge la céramique dans un bain constitué d’une suspension d’argile spécifique pour les revêtements vitrifiés. Cette suspension accrochera uniquement sur les surfaces vierges de cire, un peu comme la technique actuelle du batik sur les tissus. Lors de la cuisson, dans un premier temps, la cire brûlera, puis, une fois la température de vitrification atteinte, le potier procédera à une réduction de quelques heures, le temps de fixer son vernis en noir. A ce moment, le fond sans revêtement sera gris. Le potier retire alors la braise du foyer et procède ainsi à une réoxydation qui redonnera un ton rouge aux parties exemptes de peinture, et obtiendra une céramique aux figures rouges détourées sur fond noir.
Simple dans le principe, mais un peu moins à réaliser, on peut s’en douter…
Et donc, lorsque je cuis des céramiques gallo-romaines à revêtement noir, c’est exactement le même principe, mais sans réserves à la cire.
C’est tout simple...
Il m’a fallu à peu près dix ans d’essais pour y parvenir…
Un kylix attique à la sortie du four
Belle récompense pour tant d'efforts!
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire