mardi 25 octobre 2011

L'atelier de potiers gallo-romains de Thonon

Un peu d'histoire...
Comme de nombreuses localités, Thonon était déjà habitée dans l'antiquité. Fréquemment, lors de travaux de terrassements au centre-ville actuel, des vestiges de constructions gallo-romaines apparaissent et font parfois l'objet de fouilles archéologiques. Par son étendue relativement vaste, Thonon devait être un vicus, une agglomération secondaire. Par ce terme de vicus, on désignait à l'origine un quartier de Rome doté de sa propre administration. En Gaule, à l'époque gallo-romaine, un vicus est une localité, entité politique et judiciaire qui a ses propres institutions et ses propres magistrats. Un vicus avait souvent pour origine un village gaulois d'avant la conquête.
En Suisse, Yverdon, par exemple était également un vicus, appartenant à la Cité des Helvètes, dont Avenches était le chef-lieu. Et Avenches, aux IIème et IIIème siècles, faisait partie de la province de Germanie Supérieure, dont Mayence était la capitale. Ainsi donc, Thonon était un vicus de la Cité des Allobroges, dont Vienne, dans l'Isère était le chef-lieu, et appartenait à la province de Narbonnaise.
En 1972, la Rue St.-François de Sales est en chantier. Un quartier entier est en cours de reconstruction. Un archéologue de la région, Feu M. J.-C. Périllat, surveillant régulièrement les travaux de terrassements repère des tessons de céramiques, Un examen plus attentif découvre alors un atelier de potiers gallo- romains. Huit fours sont mis au jour, et quelques mètres plus à l'ouest, une fosse comblée par des ratés de cuisson livre plus de deux tonnes de tessons. Ces fouilles, entreprises dans des conditions rendues très difficiles par le froid et la pluie seront malheureusement interrompues suite à un tragique accident qui coûtera la vie à J.-C. Périllat, et au cours duquel quatre fouilleurs seront grièvement blessés.
Ces tessons ne seront pas oubliés, mais après divers aléas, leur analyse ne sera reprise que...38 ans plus tard par Laurent Berman, qui oeuvre encore actuellement au tri, au nettoyage et au remontage des céramiques découvertes. Travail de bénédictin que seul un passionné comme lui peut entreprendre...

Petit reportage sur une visite au dépôt de fouilles, en compagnie d'Isabelle André, doctorante à l'UNIL (Université de Lausanne) 

Des tessons par milliers...

Des caisses entières de tessons nettoyés et classés en attente de remontages éventuels... Ici, des éléments de récipients décorés à la barbotine.
Le travail commence par le nettoyage de milliers, de dizaines de milliers de tessons. Puis leur tri en fonction des formes, des coloris et des types de décors, tout en conservant leur classement en fonction du lieu de découverte, ainsi que leur position dans les tas de rejets de ratés. Puis on tente les remontages. Souvent les pièces étaient entières, seulement fissurées ou déformées lors de leur rejet par les potiers, ce n'est que plus tard qu'elles se briseront sous l'effet de la compression. L'ensemble de tessons formant un vase complet occupe donc un espace relativement restreint, et le soin que mettent les fouilleurs à les récolter facilite le travail ultérieur des analystes. Mais il arrive aussi que la pièce éclate lors de la cuisson, ou quand elle est jetée dans la fosse de ratés. Les tessons sont alors complètement dispersés, ce qui complique singulièrement la tâche, et fait appel à la mémoire de celui qui s'attelle aux remontages...
Premier tri, par couleurs et types de décors...























Des vases par centaines…
 
C’est ainsi que plusieurs centaines de pièces ont déjà pu être partiellement ou totalement remontées.
Et il reste une quantité énorme de tessons à laver, trier, et éventuellement assembler…

Des gobelets, des gobelets, encore des gobelets et quelques bols et cruches. Le service à boire formait une part importante de la production de cet atelier.
Le genre de céramiques que produisait cet atelier se compose pour moitié environ de céramiques communes. Mortiers, jattes, vases de stockage, pots à cuire, petits pots de stockage à revêtement micacé forment l’essentiel de cette vaisselle de cuisine.

Un pot à cuire en céramique commune grise, probablement rejeté à cause de fissures.
Ce genre de petits pots en céramique commune micacée se retrouve par dizaines...
 Pour la seconde moitié la production était axée sur la céramique à revêtement argileux, avec une prédominance de gobelets, qui se trouvent par milliers dans cet ensemble de ratés. Un assortiment très riche en décors variés et originaux.

Gobelets à dépressions. Un style très apprécié dès la fin du IIème siècle de notre ère, ou le sens de l'ergonomie à la mode gallo-romaine...
Gobelets tulipiformes décorés à la barbotine. Vrillettes et grappes sont des motifs récurrents célébrant le vin...
Mais on retrouve également des cruches de service…

Deux cruches à revêtement argileux. Ces récipients sont rarement décorés sur leur panse. Quelques modèles comportent toutefois des rangées d'ocelles. De nombreuses cales et pilettes d'enfournement ont également été retrouvées sur le site, comme celle placée entre les deux cruches. Plutôt que séparer les récipients entre eux, ces cales servaient surtout de supports ou de cales entres les récipients et les parois des fours.
Ainsi que des bols et jattes de formes variées:

Un grand bol hémisphérique à décor estampé et excisé. Cette composition est une originalité des ateliers de Thonon.
Un bol cylindrique à décor de cordons fendus et barbotine. 
Datation:
Par leur forme, ces récipients sont bien caractéristiques de leur époque, et on peut sans trop de risques pour évaluer la période de production entre les années 180 et 250 de notre ère. La proportion entre céramiques communes et à revêtement argileux conforte cette idée, par comparaison avec les sites de consommation contemporains qui affichent à peu près les mêmes taux. Cet atelier pouvait donc alimenter villae, villages et vici des environs à lui tout seul par la gamme complète de produits qu’il offrait à cette clientèle.

Une seconde vie?
Ainsi donc, 38 ans après la fouille, ces céramiques revoient le jour une seconde fois. Temporairement toutefois, la Ville de Thonon ne possédant actuellement pas de musée dans lequel elle pourrait les exposer. Une exposition spéciale est toutefois envisagée à moyen terme. Entretemps elles continueront à sommeiller sur leurs étagères, bien à l'abri dans le local qui leur est dédié. En attendant aussi une publication systématique, ce qui n'a toujours pas été réalisé... Toutefois, une thèse de doctorat ès lettres en archéologie, en cours par Isabelle André à l'UNILausanne inclura cette production dans le thème de cette étude qui portera sur la typologie et l'archéométrie des céramiques à revêtement argileux de Suisse occidentale et de France voisine (Ain et Savoie, ndlr.) 

Gobelets de type "Niederbieber 33" portant un décor excisé. Une autre originalité des potiers de Thonon. La teinte grise est obtenue par une cuisson à dominante réductrice.


Quelques autres vues: (cliquer sur l'image pour agrandir).

La forme "Niederbieber 33" est omniprésente, et porte souvent des décors à la barbotine
mais il peuvent être parfois lisses ou munis simplement de lignes de guillochis
Rinceaux à la barbotine...
Un gobelet et sa réplique...
Gobelets à panse cannelée et guillochée
Gobelets tulipiformes décorés de rinceaux à la barbotine
Décor d'oiseaux à la barbotine sur une coupe
Et sur un flacon....

1 commentaire:

  1. Bonjour, c'est extraordinaire tout ce travail de recherche et un résultat magnifique. Pouvez-vous faire un four et une cuisson lors d'un fête médiévale? Nous essayerions de réaliser une semaine ou quelques jours afin de pouvoir montrer l'enfournement, la cuisson et le défournement. Pouvez-vous me proposer quelque chose...pour un endroit situé en Belgique? moyenartinternational@gmail.com
    Merci d'avance et bonne continuation...génial. Jean Libert

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