mardi 15 novembre 2011

Une cuisson oxydante de céramiques du haut moyen-âge

Les céramiques claires, c'est à dire rouges ou blanchâtres sont toujours ou presque cuites en mode oxydant. Plus précisément oxydo-réducteur et post-cuisson oxydante. Nous y reviendrons tout au long de la présentation des images.Toutefois, il est bon de savoir que pratiquement toutes les argiles cuites selon cette technique sont rougeâtres, plus ou moins foncées selon la quantité d'oxyde de fer qu'elles contiennent. Que la couleur de la terre crue soit rouge, verte, jaune ou noirâtre n'y changera pas grand chose. Le feu égalise toutes les formes des oxydes de fer, les déshydrate et finit par les amener à la couleur rouge qui est la forme Fe3O4.
Une seule exception, de taille toutefois à cette règle. Si une terre ne contient pas d'oxydes de fer, elle sera blanchâtre, comme les terres agricoles de la Champagne crayeuse, et blanches elles resteront à la cuisson. Et donc, une argile qui contient un tout petit peu d'oxyde de fer deviendra rose pâle.
Voilà donc pour ce préalable. Lors du précédent article illustrant la construction de ce four de style haut médiéval, nous nous étions arrêtés à la cuisson de ses structures.
Quelques jours plus tard, c'était le 4 août dernier, première cuisson oxydo-réductrice. Nous retrouvons le four correctement cuit et ses structures en place.



Quelques tuiles ont été placées au-dessus de l'entrée du foyer pour dévier les flammes et éviter des surcuissons qui pourraient endommager les pièces les plus proches.

Une première couche de pièces est placée sur les supports:


Ce sont plutôt des formes fermées, qui résistent mieux à la compression que les plats et assiettes. Une grande jatte y sera tout de même posée, afin de tester sa résistance.



Puis une deuxième couche est constituée de pièces plus petites, jattes et gobelets.

Enfin des écuelles et de grandes jattes formeront le bouclier supérieur qui retiendra un maximum de chaleur dans la charge à cuire.

Et enfin, le tout est recouvert d'une bonne couche de tessons qui formeront l'isolation thermique nécessaire à une cuisson correcte. La perte d'énergie par rayonnement est ainsi réduite au minimum, et le tirage se fait par les interstices. Le feu est aussitôt allumé, tout en restant modeste. Il faut procéder au préchauffage pour éviter l'éclatement des pièces les plus exposées à la flamme. 2 heures seront nécessaires pour atteindre les 250 degrés environ qui écarteront tout risque.

Après 2 heures encore de grand feu, l'incandescence apparaît entre les tessons de couverture. Un peu de braise est jetée sur la couverture afin de chauffer encore un peu plus les tessons tout en réduisant le tirage.


Grand feu toujours! Le four gallo-romain situé dans la même aire est aussi en action, et afin d'éviter d'êtres rôtis avant que les céramiques soient cuites, nous alimentons les fours à tout de rôle avec Eric "Pépin" Angehrn, potier médiéviste et indispensable compagnon de toutes ces aventures. Moins visibles sur le four mérovingien, les gaz de combustion se renflamment au contact de l'air lors de phase réductrices de la chauffe. A chaque brassée de bois, on passe ainsi par une courte période durant laquelle le feu est suralimenté et provoque des flammes d'échappement indiquant une phase réductrice par insuffisance d'oxygène dans les chambres de cuisson. La couleur de ces flammes est le meilleur indicateur de la température régnant dans les fours donnant ainsi un précieux renseignement sur l'état de cuisson des céramiques.

Après 4 heures de grand feu, les flammes commencent à traverser la couche de tessons, et la charge est devenue orange d'incandescence. La cuisson est terminée, il faut maintenant la couvrir quelque peu pour éviter un refroidissement trop brutal. Quelques pelletées d'un mélange de cendres et de terre seront nécessaires.



Préalablement, une bonne brassée de broussailles humides sont déposées sur les tessons, puis la terre est jetée par dessus. La couche de cendre et de charbons qui se formera ainsi empêchera que trop de terre ne s'infiltre dans la charge à cuire. Ces brindilles, qui peuvent être remplacées par de la paille pourrie ou de l'herbe fraîche, évitent aussi que les chocs thermique dus au contact de la terre parfois humide ne fassent éclater les tessons ou les céramiques situées juste au-dessous. Le fort tirage provoque de belles gerbes d'étincelles, un vrai feu d'artifice!



Deux jours plus tard, le four est refroidi, bien protégé par sa couche de cendres et de terre. Nous avons veillé à ce qu'elle ne soit pas étanche et laisse passer de l'air atmosphérique qui assurera l'oxydation des pièces.



Les tessons sont délicatement ôtés, et les pièces cuites apparaissent progressivement...



Une demi-assiette sert de pelle à cendres...



Et on peut commencer à défourner. Ici un "gobelet dansant" de la phase III de Pingsdorf (vers 900-960) célèbre groupe d'ateliers d'époque carolingienne de la région de Cologne. Ces gobelets tiennent debout sur la table lorsqu'ils sont vides, mais pas lorsqu'ils sont pleins... Les peintures, simplement tracées avec les doigts, sont typiques de cette production.



Un petit vase en pâte grossière orange, dans le style des productions de l'atelier de Vanves ( F, Hauts-de-Seine), VIème siècle. Il est parfaitement cuit et très proches des modèles originaux.



Quelques pièces ont tout de même un peu souffert de la forte chaleur et des hasards de l'empilement en vrac, tel ce gobelet du service bistre de Sevrey "les Tupiniers", site de production près de Châlons sur Saône actif du VIème au Xème siècle. Ce modèle est une reproduction d'une pièce de la première phase, au temps des Burgondes.



Un pichet du même service de Sevrey, portant son décor moleté caractéristique. Il a bien été exposé à la flamme vive comme le montrent les variations de coloris de la terre. Ce type de pièce se retrouve souvent dans les sépultures des territoires administrés par les Burgondes, notamment la Suisse romande et la Franche-Comté.



Une copie d'un cruchon carolingien de Badorf, Xème siècle. Ce groupe d'ateliers était très proche de Pingsdorf, tellement proche qu'on peut se demander s’il ne s'agit pas d'un seul groupe. Les productions de Badorf se distinguent toutefois par leurs décors moletés plus fréquents qu'à Pingsdorf, et leurs peintures beaucoup plus rares. La terre presque blanche très sableuse est caractéristique de ces productions qui furent très prisées et exportées loin à la ronde, jusqu'en Angleterre ou en Suède. Les fouilles du grand Emporium de Kaupang, le plus grand marché des Vikings en Scandinavie, en a livré des quantités étonnantes, tout comme les productions peintes de Pingsdorf.



Et on atteint les couches les plus profondes, toujours des productions essentiellement carolingiennes de Badorf et Pingsdorf, mais aussi des pièces d'Ile-de-France.



Et un joli "tableau de chasse" pour finir. Cuisson parfaitement réussie, quelques pièces déformées et une seule fissurée, la grande jatte mise en test en fond de fournée n'a pas résisté au refroidissement, apparemment. Elle est fissurée sur toute sa panse.
 
Quelques pilettes ont été aussi sérieusement malmenées et se sont largement fissurées. Il faudra prévoir de les renouveler. Mail là est l'avantage de ce genre de four. On change les pilettes en on peut réutiliser immédiatement l'installation. 
Mais pour le moment il faut encore vider le four de ses cendres et de la terre qui y est tombée. Chaud et poussiéreux!




Et donc, en conclusion, une cuisson parfaite ou presque avec des résultats très proche des originaux, dans un four qui s'est révélé très performant, très puissant puisque 6 heures de cuisson en tout auront été nécessaires, avec une quantité de bois consommée relativement faible.la température de cuisson a atteint les 900 degrés environ.
 
Le prochain article traitera de la seconde cuisson, réductrice cette fois, pour obtenir des pièces grises et noires.
A tout bientôt, ô Honorable Visiteur!

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