mardi 15 novembre 2011

Une cuisson réductrice de céramiques du haut moyen-âge

Dernier volet, donc, relatant cette aventure. Une cuisson réductrice... Qu’est-ce que c'est, tout d'abord?

Une cuisson réductrice, c'est avant tout fabriquer de la céramique grise ou noire sans utiliser de colorants chimiques.

Pratiquement toutes les argiles, lorsqu'on les cuit "normalement" deviennent plus ou moins rouges, comme toutes les briques ou les tuiles que l'on peut voir sur toutes les maisons du monde. Elles sont rouges par la coloration de l'oxyde de fer que la plupart des argiles contiennent normalement. Une exception toutefois. Les argiles blanches que l'on utilise pour la faïence. Elles sont blanches ou gris clair à l'état cru, et elles restent blanches à la cuisson, parce qu'elles ne contiennent précisément pas d'oxydes de fer. Dans le jargon archéologique ou céramologique, on les appelle aussi argiles kaoliniques, parce qu'elles contiennent essentiellement du kaolin, cette terre dont on fait les porcelaines.

Mais voilà. Comment cuire en gris ou en noir des argiles qui deviennent normalement spontanément rouges?
C'est tout facile sur le principe. Une "simple" question de tirage du four. Il faut priver la charge à cuire de l'apport d'oxygène qui oxyde le fer en fin de cuisson. Mail il faut aussi produire un gaz réducteur, en principe du monoxyde de carbone, qui en fin de cuisson soutirera quelques atomes d'oxygène aux oxydes qui donnent la couleur rouge à l'argile. Plus on en soutire, et plus l'oxyde de fer FE2O3 tend vers le monoxyde de fer FE0, et plus il deviendra gris.

En théorie, donc rien (ou presque...) de plus simple. En pratique, c'est une autre histoire...
Et qui voudrait en savoir plus peut se reporter à l'article suivant:

http://arscretariae-archeoceramique.blogspot.com/2011/11/la-cuisson-reductrice.html

A l'origine, donc, une série d'expérimentations en vue d'une communication au Colloque International de Douai sur les ateliers de potiers médiévaux du Vème au XIIème siècles dans l'Espace européen, colloque qui s'est tenu du 5 au 8 octobre derniers dans cette sympathique ville de Douai. Communication qui, me semble-t-il a été fort bien reçue par les congressistes. Organisé par l'INRAP (Institut National de Recherches Archéologiques Préventives), le LAMOP (Laboratoire de Médiévistique Occidentale de Paris de l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne), La Communauté d'Agglomérations du Douaisis et l'association Arkeos, ce colloque réunissait à peu près tout ce que l'espace européen compte de spécialistes de la céramique du Haut moyen-âge!
C'était donc une belle occasion de communiquer sur de nouvelles découvertes, mais aussi de confronter points de vue et méthodologies sur la fabrication des céramiques mérovingiennes  et carolingiennes en France, Allemagne et Belgiquesurtout, mais aussi de productions un peu plus tardives ou encore se situant dans d'autres contrées, de l'Espagne à l'Ouzbekistan, en passant par la Grèce ou le Moyen-Orient.
Mais revenons-en à notre cuisson réductrice.

Tu te souviens, ô lectrice ou lecteur assidu, de la dernière cuisson oxydante dans ce four de type mérovingien, qui avait permis la production de tout un lot de pièces orangées ou blanches. Cette fois, dans ce même four, le but était de produire un lot de pièces grises ou noires selon les bonnes volontés des argiles, qui ne réagissent pas toutes de la même manière devant un feu réducteur.

Opération toujours délicate, on commence par le chargement du four. Installer la première couche de céramiques en équilibre sur les pilettes constitue un bel exercice d'équilibrisme, dont on ne sait jamais si il ne se terminera pas par une catastrophe tant que ce premier étage n'est pas complet. Une fois tous les vases serrés les uns contre les autres, le risque d'effondrement s'éloigne.




Après la première couche de vases et de cruches, on entasse petits vases, gobelets et bols...

Et enfin une couche d'assiettes et de grandes jattes formera le premier bouclier thermique, en retenant un maximum de chaleur en dessous d'elle.



Et une bonne  couche de tessons vient recouvrir le tout, formant l'isolation thermique finale. Cette fois, le four est vraiment plein à ras bord!

La mise à feu se fait vers 17 heures. Suffisamment tard pour terminer de nuit et ainsi assurer un bon contrôle des températures d'incandescence, ce qui n'est guère possible en plein soleil.

 
Après le préchauffage de 2 heures, passage obligé afin de ne pas éclater les pièces les plus fragiles, la température monte rapidement. A 21 heures, les flammes traversent déjà la charge, et la couleur rouge cerise indique 800 degrés environ. Encore une petite demi-heure et il sera temps de fermer le four...



A 21 heures 30, la couleur d'incandescence a passé à l'orange, et les flammes traversant la charge sont plus claires. Il est temps de fermer le four et de provoquer la réduction. Pour ce faire, il est nécessaire de couvrir la charge. La cendre est la matière idéale. Très légère et étanche à l'air, elle assurera une étanchéité suffisante pour que l'air atmosphérique ne redescende pas dans les céramiques.


Quelques centimètres suffisent pour parfaitement isoler les céramiques de l'air ambiant. Quelques centimètres seulement et l'isolation est parfaite, si bien que l'on peut tasser à mains nues! Mais gare aux tessons qui viendraient à dépasser de la couche! La brûlure serait immédiate et sévère...
Et surtout, il faut obturer le foyer afin de couper le tirage ascendant.  Une bonne brassée de bois préalablement chargée assurera par sa combustion incomplète la production de monoxyde de carbone nécessaire à la réduction des oxydes de fer, et par là une couleur grise à noire qui est le but recherché.
Et on laisse reposer et refroidir le tout jusqu'au lendemain...








Après ces 18 heures de refroidissement, il faut commencer par enlever la couche de cendres, soigneusement récupérées pour les cuissons ultérieures, pour voir apparaître la couche de tessons...

qui sitôt dégagée permet de voir que la réduction a parfaitement bien pris, toutes les pièces sont grises, plus ou moins foncées selon que les argiles prennent plus ou mois bien l'enfumage. Il est parfaitement possible, selon le choix des combustibles, d'agir sur les coloris des pièces. Plus le bois sera poisseux et si possible un peu humide, et plus les pièces seront foncées. La plupart des argiles, en plus de la réduction qui les rend grises, ont la faculté de s'imprégner de carbone, ce qui les rend parfois très foncées, souvent noires. Les argiles blanches, entre autres, se noircissent facilement et rendent ainsi possible la fabrication de belles pièces noires, celles que l'on nomme "terra nigra" pour certaines catégories de céramiques gallo-belges.

Encore recouvertes de poussières de cendres, des pièces gallo-romaines ont été jointes aux céramiques médiévales et ainsi comparer le fonctionnement de ce four avec mes installations habituelles. Ici, un pichet Anglo-Normand du XIème s. côtoie un vase micacé à décor estampé gallo-romain d'Autun...

Non, ce n'est pas la vision de traces de destructions suite à quelque désastre volcanique... le four vidé de sa charge est encore plein des cendres de la couverture qui se sont infiltrées entre les pièces lors du déchargement. Une poussière infernale, qui s'infiltre absolument partout!




Et qu'il faut bien nettoyer...
La prochaine fois, je m'équiperai d'un masque à poussière... Une fois suffit pour retenir la leçon...

Et après avoir fait la vaisselle, brossé et rincé toutes les pièces à l'eau claire, voici le "tableau de chasse" 57 pièces et pratiquement pas de casse. Seulement deux pièces se sont fissurées, ce qui est plutôt rare dans ce genre d'aventure.














 
Le pichet anglo-normand débarrassé de sa poussière...









 


 
Cette marmite gallo-romaine de Bruay-Labuissière est devenue nettement plus foncée. L'argile blanche sableuse dont elle est constituée s'imprègne très facilement de carbone et devient rapidement noire.











 
Et enfin, ce vase gallo-romain d'Autun a pris une teinte tout à fait extraordinaire grâce à son revêtement de mica. Il est devenu entièrement métallescent, résultat absolument sidérant pour ce genre de cuisson...




Cuisson réalisée en seulement 4 heures et demie, elle a démontré par sa parfaite réussite que, malgré leurs caractéristiques très rustiques, les fours du haut moyen-âge sont très performants. Mais demandent toutefois un savoir-faire certain pour les maîtriser correctement. Ce qui est tout à l'honneur des potiers mérovingiens ou carolingiens qui oeuvraient en ces temps-là...

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