LE GOBELET A PANSE CANNELEE,
UN GOBELET GALLO-ROMAND?
Assez fréquemment découvert en fouilles aussi bien en zones
rurales qu’urbanisées, le gobelet cannelé de type « Niederbieber 32 »
semble être une spécificité de Suisse occidentale, voire de Suisse Romande.
Qu’en est-il vraiment ?
Un exemplaire
typique découvert à Yverdon
(Fouilles Parc Piguet, 2006, non publié)
|
On ne connaît pas vraiment de précurseur à ce type de
récipient. Si la forme ovoïde est connue depuis longtemps, et notamment par les
abondantes productions des ateliers lyonnais dès le début du premier siècle de
notre ère, sa forme est toujours lisse, portant souvent un décor guilloché ou
sablé, mais jamais cannelée. Il existe bien un type de gobelet multiconvexe
dans le répertoire de la céramique de Gaule Belgique (dont la Cité des Helvètes fit partie
jusque vers 90 de notre ère), mais sa forme générale est trop éloignée et de
plus cette production cesse totalement dès le troisième quart du Ier
siècle de notre ère. On ne peut donc pas raisonnablement y voir l’origine de
nos gobelets cannelés.
Cette forme de récipient semble donc apparaître sans
précurseur en Suisse occidentale dans le courant de la seconde moitié du IIème
siècle de notre ère, simultanément à l’apparition de toute la gamme de la vaisselle
à vernis argileux issue de nos ateliers régionaux. Toutefois, si cette forme
est assurément abondante à Lousonna (Lüginbühl 1999, Vidy 2013), et peut-être à
Genève (Paunier, 1981), attestée et assez fréquente à Yverdon (fouilles parc
Piguet 2006-2009, Steiner, Menna, 2004) et Nyon (Paunier, 1981), sa présence est
plus discrète à Avenches (Kaenel 1974, Castella-Meylan 1994, Bosse, 2004) ainsi
qu’à Berne.
Les sites de
production :
Plusieurs sites de production sont attestés :
Lousonna : Deux ateliers ont fourni des rebuts
de production de ce type : L’atelier « du secteur 23 » situé dans
l’avant-dernier ilot sud-ouest du vicus
a fourni de nombreux ratés très fragmentés, dont de nombreux gobelets ovoïdes,
certains cannelés. A La rue de Chavannes 29, à la périphérie Est du Vicus, deux
fours ont été découverts en 1984 et là aussi dans leur mobilier de comblement
des gobelets se rapportant certainement à la production de l’atelier ont été
identifiés. Les styles cannelés y sont aussi présents.
La datation de ces gobelets cannelés lausannois peut se
fixer par analogie avec les autres formes produites, soit entre la fin du IIème
et le début du IIIème siècle de notre ère.
Avenches, Défini comme assez rare (Castella,
Meylan-Krause, 1994) à Avenches et dans sa région, une production a toutefois
été attestée lors de la fouille en 2003 du dépôt de ratés de cuisson de la
propriété Seynave. Les gobelets ovoïdes à panse cannelée n’y sont toutefois représentés
que par 2 individus (0,09% de la production), alors que la forme lisse en
compte 465 (21,31%) sur un total de 554 gobelets comptés, représentant le quart
de la production de céramiques à revêtement argileux de cet ensemble.(Bosse,
2004).
Cet ensemble de la propriété Seynave est toutefois assez peu
représentatif en ce qui concerne ces gobelets cannelés. Sa datation est assez
tardive, vers 250, et il est possible que la production de cette forme ait été
en déclin à ce moment-là.
Par ailleurs, les ateliers ayant produit de la céramique à
revêtement argileux à Aventicum entre la fin du IIème et au début du
IIIème siècles n’ont pas été découverts à ce jour. Cette classe de
céramiques ayant été produite en abondance à dans cette ville, il est assez
probable que les données seraient modifiées en cas de nouvelle découverte.
Bern-Engehalbinsel :
Diverses fouilles, notamment vers les années 1900, puis
1930-1949 ont mis à jour plusieurs fours de potiers sur la presqu’île de
l’Engehalbinsel, et exhumé de nombreux ratés de cuisson dont bon nombre de
pièces qui ont pu être recollées.
Malheureusement, malgré le grand intérêt de cette production,
le résultat de ces fouilles n’a jamais été sérieusement étudié, et à ce jour
aucune publication n’a été réalisée. Quelques gobelets cannelés y sont
présents, du même type que ceux de Lausanne et Avenches. D’autres exemplaires
ont été retrouvés en contexte de consommation dans le vicus de Brenodurum qui
occupait une bonne partie de la presqu’île.
Un exemplaire
à trois bandeaux, apparemment
Découvert en
contexte de consommation dans le vicus
(Bernischer
Historisches Museum, réserves,
Photo P.-A.
Capt)
|
Un exemplaire
à quatre bandeaux, apparemment
Découvert en
contexte de consommation dans le vicus
(Bernischer
Historisches Museum, réserves,
Photo P.-A.
Capt)
|
On remarque avec un certain étonnement la présence simultanée d'exemplaires à trois et à quatre bandeaux. Comme pour les autres productions, L'alternance des bandes lisses et guillochées ne semble pas répondre à une règle déterminée. Si l'alternance de bandes lisses et guilochées est systématique, le bandeau supérieur peut êttre soit lissse, soit guilloché, que le gobelet soit à trois ou quatre bandeaux. Chercher à déterminer une origine par l'observation de cet agencement semple pour le moins hasardeux.
En ce qui
concerne la datation de ces céramiques bernoises, on doit donc par analogie
avec les autres productions de mêmes types l’estimer vers la fin du IIème
et la première moitié du IIIème siècle. Toutefois, il se pourrait que cette production se soit poursuivie jusqu'à la fin de l'activité des ateliers, vers les années 270-280, datation absolue des dernières productions repérées en sites de consommation, sur la villa rustica de Worb notamment.
Thonon :
Plus surprenante est sa production aux ateliers de Thonon.
Actuellement en cours d’étude, mais non publiée, cette production, dont 5
tonnes au moins de ratés de cuisson a été récupérée en 1974 et des centaines de
pièces remontées, montre un répertoire de style relativement différent des
ateliers helvètes. Mais on retrouve à nouveau le gobelet cannelé, parfaitement
identiques aux productions lausannoise et bernoise.
Gobelets cannelés issus des fosses de ratés de cuisson de Thonon. la ressemblance avec les exemplaires issus des fouilles en Suisse occidentale est confondante...(photo P.-A. Capt) |
Un autre exemplaire, déformé et fissuré à la cuisson
(remontage et photo L. Berman)
|
Les sites de consommation :
Il est difficile de dresser une liste exhaustive des sites
sur lesquels ce type de gobelet cannelé a été identifié. Nombreux sont les
ensembles issus de fouilles récentes encore non publiés, et nombreux également
sont les fouilles qui n’ont fait l’objet que d’un rapport sommaire.
Ce type de gobelet est bien sûr clairement identifié sur
certains sites de consommation liés aux ateliers qui ont produit ce type de
récipients. Le cas le plus spectaculaire se trouve à Lausanne, où des fouilles
tout récemment conduites dans la partie Ouest du vicus ont permis de retrouver
un dépôt de plusieurs dizaines d’exemplaires brisés. Il se trouve qu’il est
absolument impossible de recoller les tessons par leur éventuelle proximité
dans ce dépôt. Les fragments issus de mêmes individus étant complètement
dispersés indiquent clairement que ces gobelets étaient brisés avant leur
abandon dans ce qui a pu être une arrière-cour. Il ne s’agit donc assurément
pas de ratés de cuisson, mais plutôt de la résultante d’un effondrement
d’étagère ou alors des stigmates d’une scène de hooliganisme d’auberge…. Ce
ensemble sera pour le moins intéressant à comparer avec les ratés de cuisson
issus des ateliers de l’îlot 23 et de la
Rue de Chavannes 29, tout proches géographiquement.
Berne et Avenches ont également livré plusieurs exemplaires
dispersés dans les habitations de ces localités. Un de ces exemplaires
découvert lors des fouilles du site « en Selley » à Avenches se
situant dans une couche datée de la seconde moitié du IIIème siècle nous
conforte dans l’idée de la poursuite de cette production jusqu’à une époque
assez tardive.
Le cas de la diffusion des productions de Thonon est un peu
particulier. Cet ensemble n’ayant à ce jour jamais été publié, les références
font totalement défaut. Nos avons pu toutefois localiser de visu quelques
productions de formes autres de cet atelier à Martigny, Massongex,
Lausanne et Nyon. Que les gobelets cannelés y aient été également diffusés est
donc possible.
Quant à Yverdon, l’étude des résultats de la fouille du
« Parc Piguet » n’étant pas encore aboutie, il n’est pas possible de
préciser la datation du ou des exemplaires découverts, pas plus que leur
origine.
Un gobelet gallo-romand ?
Déterminer l’origine de ces gobelets
lorsqu’ils sont découverts en site de consommation est un vrai casse-tête tant
ils se ressemblent. Seule l’analyse physico-chimique comparative des pâtes et
des revêtements autoriserait des certitudes.
Si sa production à Berne n’étonne
pas tant les répertoires de formes de cet atelier sont proches des productions avenchoises,
sa présence à Thonon surprend plus pour un type régional. Le vicus antique
faisait partie de la Cité
des Allobroges, province de Narbonnaise. Et il est plutôt rare que la
production d’une forme régionale chevauche la frontière de deux provinces
romaines, limite pas toujours très perméable au commerce local. De plus, la
typologie générale de cette production ne ressemble pas à celle des ateliers
helvètes et montre un faciès culturel différent.
Gallo-romain assurément donc, mais
pas typiquement romand, ce type de gobelet est plutôt une spécialité régionale « transfrontalière ».
Sa commercialisation en Germanie Supérieure à laquelle est rattachée la Cité des Helvètes n’est d'ailleurs pas
un cas particulier, puisque d’’autres productions de Thonon ont été diffusées
dans le Valais, qui appartenait à la province des Alpes Graies et Pennines. Il pourrait peut-être s'agir d'un petit succès commercial régional, une sorte de nouveau "marché de niche" dans lequel tous les ateliers locaux ont cherché à s'engager...
Bibliographie :
BOSSE Sandrine : Un dépotoir de céramiques du
IIème siècle à Aventicum. Bulletin de l’association Pro Aventico, 2004.
Avenches 2004.
CASTELLA Daniel, MEYLAN-KRAUSE
Marie-France :
La céramique gallo-romaine d’Avenches et de sa région, esquisse d’une
typologie. Bulletin de l’association Pro Aventico 1994, Avenches, 1994.
LUGINGBUHL Thierry. Les ateliers de potiers
gallo-romains en Suisse occidentale : Nyon, Lausanne et Yverdon. In SFECAG
1999, Actes du Congrès de Fribourg, pp. 109-124.
KAENEL Gilbert: Aventicum I, Céramiques
gallo-romaines décorées, productions locales des IIe et IIIe siècles. Cahiers
d'Archéologie Romande No 1. Avenches et Lausanne 1974.
PAUNIER Daniel: La céramique Gallo-romaine de
Genève. Société d'histoire et d'archéologie de Genève, T. 9, Genève, 1981
STEINER L. ET MENNA F. : La Nécropole du Pré-de la Cure à Yverdon. Cahiers
d’Archéologie Romande No. 75. Lausanne, 2000.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire