Ah ! La sigillée ! Que n’en a-t-on pas dit ! C’est assurément la plus connue des « spécialités » en céramique d’époque romaine. Cette dénomination est source de nombreuses confusions, et il sera plus clair de mettre au point cette terminologie.
Pour les potiers et céramistes contemporains, la « sigillée » est un vernis argileux, une sorte d’engobe, vitrifié ou non, qui peut occasionnellement être coloré au moyen de pigments ou d’oxydes métalliques. Par extension, la sigillée définit une céramique dont le revêtement à base d’argile devient brillant par polissage ou par vitrification. De ce point de vue, la sigillée englobe presque toutes les formes de céramiques antiques à vernis argileux.
Pour les archéologues et céramologues, ce vocable définit plus précisément les céramiques tournées ou moulées, décorées ou non, revêtues d’un vernis argileux brillant, et cuites en atmosphère oxydante pour leur donner un ton allant du rouge sang au brun-rouge uniforme. Ces céramiques sont souvent marquées d’une estampille « sigillum » montrant généralement le nom du potier ou de l’atelier qui l’a réalisée. Exceptionnellement, cette sigillée peut être noire. Les autres variantes de céramiques à revêtement argileux sont définies par des termes plus spécifiques.
Pour plus de commodité et précision, j’utilise le langage des archéologues dans les articles traitant de ces sujets. Et j’évoquerai la céramique sigillée « strictu senso » dans les quelques pages qui suivent.
Où situer l’origine de la sigillée, cette belle céramique antique à vernis argileux rouge uni ? Il est toujours difficile de répondre à cette question tant la chronologie de l’apparition de nouveaux types céramiques est difficile à établir.
L’Italie avait une longue tradition de céramiques à vernis noir, héritée du temps des cités grecques du Sud de la Péninsule. Les plus célèbres furent les campaniennes, mais d’excellents ateliers étaient aussi établis en Calabre ou en Sicile. La composition des vernis qui enduisaient ces pièces était telle qu’elles nécessitaient une forte réduction en fin de cuisson pour assurer la couleur noire du revêtement. Le moindre défaut de régime, un peu d’air atmosphérique qui rentre dans le four lors de cette opération, et la fournée était « ratée ». Nos pas inutilisable, mais le vernis virait au brun, voire au rouge et les pièces étaient dépréciées. On sait maintenant qu’elles étaient tout de même commercialisées, peut-être à un prix légèrement inférieur. On retrouve bon nombre de telles pièces un peu oxydées lors des fouilles, mais ce ne sont généralement pas celles que l’on expose dans les musées. Et parfois même, ce que l’on juge aujourd’hui comme une imperfection, était corrigé à l’encre de Chine pour les expositions. Louable intention, peut-être estimait-on que le temps avait altéré le vernis, et que l’on se devait de corriger cette injure à la noblesse originelle supposée de la pièce. C’était ne pas connaître le délicat processus de cuisson et tous les aléas qui y sont liés. Le petit défaut ne fait-il pas parfois le charme, et n’écrit-il pas son histoire et celle de la personne qui a réalisé cette céramique ?
Un couvercle de lekanis grecque. La réduction a mal pris et le vernis argileux est resté brun-rouge alors qu'il aurait dû être noir. ( Vème s. av. J.-C.)
Une coupe Campanienne A de Lattes. Le vernis souffre de défauts d’épaisseur et de réduction. Les marques de doigts lors du trempage sont restées très visibles.
Ces deux illustrations montrant des reflets rouges accidentels, on peut démontrer que la couleur originelle de ce vernis se situe dans les bruns-rouges selon les argiles utilisées, et que, en fait, l’amener au noir est une sorte d’accident de cuisson volontairement provoqué. Une cuisson totalement ratée donnera un brun-rouge plus ou moins uniforme. Certains revêtements argileux peuvent tout aussi bien donner une céramique campanienne noire parfaite qu’une sigillée rouge. Il suffit de jouer sur les atmosphères de cuisson…
Les modes étaient aussi tyranniques aux temps antiques qu’aujourd’hui, et chaque vêtement, chaque accessoire, chaque objet était un marqueur social. Il en résultait donc une évidente inertie, parfois forte, qui s’opposait au changement et à l’évolution rapide des courants esthétiques. Comment en arriva-t-on à la sigillée ? C’est un mystère. Initiatives individuelles suite à des accidents de cuisson qui révélèrent les possibilités de vernir les céramiques en rouge vif ? Mode importée de la partie orientale du monde méditerranéen ? Peut-être un peu des deux. Toujours est-il que dès leur apparition, ces belles céramiques rouge vif connurent un immense succès, d’abord auprès des militaires, dont le pouvoir d’achat permettait aisément de s’approvisionner auprès des ateliers italiques, puis auprès des civils également.
Techniquement, passer de la céramique à vernis noir à la sigillée ne représentait pas un saut technologique très important. La composition des vernis est assez semblable, seuls des détails de composition des argiles peuvent varier.
Le seul obstacle technique se situe dans la méthode de cuisson. Alors que les céramiques à vernis noir nécessitent une atmosphère réductrice, donc exempte d’oxygène et riche en CO (monoxyde de carbone), voire en méthane (CH4) issu des gaz d’une combustion incomplète, les vernis rouges exigent un environnement oxydant, donc riche en oxygène, et par conséquent si possible totalement exempt de gaz de combustion et de fumées. Les potiers antiques ont résolu le problème en équipant leurs fours de tubulures canalisant aussi bien le feu que les gaz de combustion. Le résultat obtenu est une installation fonctionnant par rayonnement thermique uniquement, et assez proche des fours électriques actuels.
Les tubulures n’étaient pas inconnues. Elles furent parfois utilisées pour protéger certaines pièces particulièrement délicates des coups de feu. Dans ce cas elles n’équipent qu’une partie de la hauteur de la chambre de cuisson du four. La tubulure intégrale n’est qu’une évolution, pas une révolution.
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Un four à sigillée ici restitué selon le modèle du grand four de la Graufesenque à Millau (F). On y voit clairement les tubulures destinées à canaliser les flammes et ainsi protéger les céramiques de tout « coup de feu » qui créerait des zones sombres sur les récipients qui y seraient exposés.
Un four à sigillées tardives de Meaux, dans la région parisienne. Cet exemple illustre parfaitement ce genre d’installation dans laquelle le chauffage se fait essentiellement par les parois munies de tuyaux de chauffage, mais aussi par quelques tubulures internes. Datant du IVème siècle de notre ère, cette installation montre bien la longévité exceptionnelle de cette mode de consommation aussi bien que le la technique que nécessitait sa fabrication.
Les deux exemples ci-dessus montrent bien l’évolution technique à laquelle les potiers antiques ont été confrontés. Ces fours, parfois très rustiques dans leur construction, tiennent toutefois d’une haute technologie et d’une parfaite compréhension des phénomènes liés à la combustion et au travail à haute température, qui peut dans certain cas atteindre plus de 1100 degrés, voire 1180 pour le maximum. Leur entretien est délicat, les tuyaux, toujours en terre, cassent facilement, et doivent impérativement âtre entièrement démontés après chaque cuisson pour remplacer les sections défectueuses. Une collerette est posée entre chaque tube, qui servira de support aux étagères d’enfournement.
Cette céramique apparaît entre 50 et 30 avant notre ère, principalement à Arrezzo en Italie actuelle, par tâtonnements à partir de la Campanienne noire. Dès le processus de fabrication mis au point, sa diffusion va profiter des circuits commerciaux déjà établis pour cette campanienne qui avait connu un immense succès. L’apogée de la sigillée italique se situe dans le règne d’Auguste, entre – 30 et 15 de notre ère.
Calice moulé, fabriqué dans les ateliers d’Arezzo, peu avant le tournant de l’ère. (Source et licence : Wikimedia Creative Commons)
Un moule d’Arrezzo. Seule la partie décorée était moulée. La partie supérieure de la coupe était tournée en même temps que le moulage, puis le pied, tourné séparément, était ensuite collé à la barbotine. (Source et licence : Wikimedia Creative Commons)
Une coupe tournée et décorée de motifs appliqués après le polissage.
Une coupe tournée d’origine italique, que l’on retrouve fréquemment dans les camps militaires.
Ce calice et les deux coupelles tournées sont assez représentatifs de la sigillée italique. Ces récipients seront exportés loin à la ronde. Le calice, par exemple a été retrouvé à Metz. Pour les archéologues, ce sont des marqueurs chronologiques importants. On en retrouve des exemplaires en fouillant des camps militaires temporaires dont l’occupation est bien datée. Ensuite, en comparant avec les sites de production, puis d’autres sites de consommation, on arrive à établir des chronologies très précises, parfois à 5 ans près, qui sont très utiles dans la compréhension de l’histoire antique.
Dès 15 avant notre ère, le succès commercial de ces produits va engendrer deux phénomènes trop bien connus aujourd’hui. La délocalisation, qui se manifeste notamment à Lyon, où un ou plusieurs ateliers d’Arrezzo vont ouvrir des succursales, notamment pour se rapprocher des camps militaires du Rhin, mais aussi pour satisfaire la demande des Gaulois en cours de romanisation.
L’imitation ensuite. Peut-être à partir de petites succursales, des ateliers gaulois vont voir le jour, notamment à Millau-La Graufesenque et Montans. Rapidement, ces ateliers indigènes vont se développer et une production proprement gigantesque apparaîtra, spécialement à La Graufesenque, probablement le plus grand centre de production de sigillée de l’Antiquité.
Une assiette « Dragendorff 17 » de La Graufesenque, signée du potier Quadratus. Un travail parfait, témoin de l’immense maîtrise de ces potiers gaulois.
Une pièce « Dragendorff 29b » également de La Graufesenque, découverte intacte à Metz. Après 2000 ans passés en terre, le revêtement est resté tel qu’il était à l’origine. Absolument parfait. La résistance de ces vernis stupéfie toujours archéologues et céramistes…Cette pièce est moulée, au contraire de la précédente qui est tournée.
(Source et licence : Wikimedia Creative Commons)
Tesson d’une sigillée moulée de Montans. Les potiers de cette localité firent preuve d’une belle maîtrise, sans toutefois égaler ceux de La Graufesenque.
Je traiterai prochainement des ateliers gaulois qui ont fabriqué de la céramique sigillée. Le sujet est très vaste et ne pourrait raisonnablement pas être traité dans cet article.
On ne saurait terminer ce tour d’horizon sans évoquer (enfin!) l’estampille, le sceau, le sigillum qui a donné son nom français à cette catégorie de céramique.
Une estampille de PASSIENUS de La Graufesenque. Sa graphie O PASN, éventuellement O PASA se lit ainsi : O[FFICINA] PAS[SIE]N[US]. « De l’atelier de Passienus ». Entre 54 et 69 de notre ère. D’autres exemplaires de cette estampille sous cette forme ont été découverts à Londres, à Amiens et à Mayence. Ce qui donne une petite idée de la zone de diffusion de cet atelier… Mais il faut dire que c’est un des potiers les plus connus de ce centre de production, et ses estampilles sous toutes les formes sont répertoriées par milliers…
Très rare exemplaire d’une estampille du potier VIBIUS de Montans, découverte en Suisse romande, à Yvonand. Sa graphie, VIBI F se lit ainsi : VIBI[US] F[ECIT]. « Fait par Vibius ». Elle est peu connue, et sa datation se situe entre les règnes de Claude (41-54) et Vespasien(69-79). Le cartouche en forme de losange est unique.
Prochain article de cette série sur la sigillée :
Les ateliers gaulois de sigillée au Haut-Empire
Tout bientôt…
Peut-être…
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