Les céramiques à vernis argileux (1ère partie)
Des origines à la sigillée italique
Le terme a déjà été fréquemment écrit dans ces pages, mais jamais vraiment défini. Comme beaucoup de techniques ou de tours de main dans l’art de la céramique, ce peut parfois être à la fois très simple et très compliqué. Vous n’allez, ô lectrice ou lecteur, pas être déçus !
Les origines des vernis argileux se perdent dans la nuit des temps. Comme il s’agit simplement d’une suspension d’argile dans de l’eau, dès que l’on conçut l’idée de décorer les poteries, on a pu avoir l’idée de les peindre avant ou après la cuisson. Le revêtement argileux était donc déjà né !
Les hasards des caractéristiques des argiles choisies pour leurs couleurs et les méthodes de cuisson utilisées ont progressivement révélé que certaines terres avaient la faculté de ne pas cuire rouge ou blanc comme la plupart des argiles, mais plutôt foncées, marron, lie de vin parfois, et de devenir brillants sous l’effet d’une forte chaleur.
Cela permit donc, dès le temps des civilisations mésopotamiennes, de peindre des motifs à l’aide d’une dilution d’argile dont la couleur allait se modifier lors de la cuisson. La Grèce antique, depuis les périodes archaïques jusqu’aux temps de la domination romaine, va nous offrir un incroyable florilège de peintures et de revêtements, tous préparés à partir d’argiles, sans adjonction de pigments. Les couleurs étant révélées uniquement par l’action d’un feu soigneusement contrôlé.
Il s’agit là d’une céramique à décor en réserve. Les personnages et le chariot de la procession sont peints à la cire, puis les motifs incisés pour révéler certains détails au trait. La pièce et son couvercle sont ensuite trempés dans une suspension d’argile qui s’imprégnera uniquement sur les sections non enduites de cire. Les motifs sont ainsi détourés, un peu comme lors des peintures sur tissus en technique batik. La couleur noire est obtenue par une vitrification partielle de l’argile, suivie d’une réduction qui noircira les oxydes de fer qu’elle contient. C’est une sorte d’apogée pour ces vernis argileux, tant cette technique est délicate à appliquer.
Pour plus de détails sur le processus de réduction, voir ici :
Fond
d'une coupe ionienne à figures noires dite « coupe à l'oiseleur ». Découverte:
Étrurie(?), fabriqué dans la
Grèce de l'est v. 550 av. J.-C. Deux oiseaux, des oisillons
dans un nid, une sauterelle et un serpent sont dispersés dans un décor végétal
luxuriant où évolue le personnage central (peut-être Dionysos si les arbres à
ramures sont identifiés à des ceps de vigne). (Louvre, collection Campana.
Cliché libre de droits, source Wikipedia)
Au contraire de la précédente, cette pièce exceptionnelle présente un décor peint de manière conventionnelle, ceci reste tout de même une technique délicate, l’argile doit être déposée en plusieurs couches pour éviter des traits de pinceau trop visibles, Il faut absolument éviter les minceurs qui pourraient laisser apparaître l’argile claire sous-jacente. Les noirs sont issus d’argiles se vitrifiant partiellement à la cuisson, tandis que le rouge est issu d’une terre résistant à cette vitrification et redevenant rouge lors de l’oxydation qui termine le processus de cuisson.
Bien sûr, toutes les céramiques n’étaient pas décorées de motifs aussi élégants, et la grande majorité des pièces à revêtement argileux les plus courantes était de couleur unie, telle cette coupe à vernis noir.
Ce genre de céramiques connaîtra un très grand
succès dans le monde grec, puis gréco-romain. La Campanie, puis plus tard
d’autres régions d’Italie, prendront le relais et verront le développement de
nombreux ateliers de céramiques à revêtement argileux noir. Les ateliers de
Campanie sont les plus connus, et leurs productions seront exportées loin à la
ronde. Les Gaulois notamment en étaient friands, et on en retrouve de nombreux
exemplaires dans les sépultures aristocratiques. C’était pour ces peuples une
céramique importée coûteuse mais très prestigieuse. On retrouve parfois des
pièces grecques à figures noires ou rouges dans les tombes princières de La Tène ancienne, mais aussi des
vases de bronze pour les plus riches.
Techniquement, ce vernis est appliqué par trempage, sauf les très grandes pièces qui sont vernies au pinceau, par de nombreuses couches.
Techniquement, ce vernis est appliqué par trempage, sauf les très grandes pièces qui sont vernies au pinceau, par de nombreuses couches.
Une
petite coupe campanienne. Ces céramiques de la région de Naples portent un
revêtement argileux qui est souvent d’excellente qualité, et qui a fait la
renommée de cette vaisselle.
Reproduire
de la céramique campanienne est toujours un défi. Les argiles destinées à la
fabrication du revêtement doivent être choisies avec soin, leur application par
trempage bien uniforme et surtout la cuisson se terminant par une longue phase
de réduction, puis une réoxydation. On obtient ainsi un vernis noir profond,
parfois aux reflets irisés, «aile de corbeau ».
Peu
avant le tournant de l’ère, on voit en Italie, à Pise ou à Pouzzoles, mais
surtout à Arrezzo, une nouvelle variété de céramique à revêtement argileux. La
sigillée, de couleur rouge unie, qui tire son nom du sigillum, le sceau du
potier qui appose sa signature au centre du vase qu’il vient de terminer, afin
qu’il soit reconnaissable entre tous les autres. La sigillée rouge est
fabriquée et surtout vernie de même manière que la céramique à vernis noir. Les
pièces moulées sont toutefois beaucoup plus fréquentes. Le type de vernis ne
diffère pas vraiment des pièces noires. C’est uniquement le processus de cuisson,
très oxydant, qui fera la différence.
Pose
du revêtement d’une sigillée par trempage. Cette argile à revêtement est jaune,
et deviendra rouge à la cuisson oxydante, mais en cuisson réductrice il
pourrait devenir parfaitement noir.
La
sigillée est avant tout une vaisselle standardisée, fabriquée en grandes
quantités, souvent pour les militaires, comme ces petites coupes à boire,
caractéristiques des premières implantations légionnaires sur le Rhin, les
dernières décennies avant le tournant de l’ère.
Contrairement
à ce qu’on imagine quelquefois, ces pièces sont tournées et polies avant
revêtement, et non moulées comme celle-ci-dessous, un des fleurons des ateliers
de Perennius Tigrane.
Ce
genre de calice est peut-être, avec d’autres belles pièces d’Arrezzo, une des
dernières manifestations de l’art gréco-romain. Au contraire de la précédente,
cette pièce est partiellement moulée. Le col est tourné lors du moulage, et le
pied, tourné séparément, est recollé par la suite.
Ces
céramique rouges connaîtront un succès foudroyant, et les ateliers pratiquant
cette technique particulière nécessitant des fours spécialement adaptés, vont
rapidement disséminer, notamment en Gaule, où certaines officines vont
connaître un essor incroyable.
On
reviendra sur la céramique sigillée gauloise dans un tout prochain article. A
partir du début de notre ère, la très rapide expansion de la technique du
revêtement argileux en Gaule verra, outre la céramique sigillée, la création de
nombreux centres de production et toutes sortes de variétés de vaisselle
verront le jour. Tour d’horizon prochainement aussi.
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